Problématique d'une division régionale du Canada
On a souligné l'importance de l'immensité canadienne et la variété souvent méconnue des aspects du pays. Cela sous-tend une évidente complexité dès lors qu'on doit pratiquer au sein de l'ensemble un découpage spatial ou une division régionale.
Il est indispensable de se défaire des normes européennes, même si, dans certains cas, le Canada offre l'existence de régions ou de « pays » de dimensions proches de ce que l'on connaît dans l'Ancien Monde. L'écueil à éviter, lorsqu'on est en présence d'un territoire aussi étendu, est d'aboutir à un véritable puzzle de micro-régions, chacune étant distincte de l'autre, parfois par des détails infimes ; on perd alors facilement la notion d'insertion locale dans un ensemble nettement délimité.
Au Canada, surtout dans les provinces les plus anciennement constituées, chaque village, chaque vallée, peut se singulariser nettement vis-à-vis des autres : tel est le cas dans le secteur du Saguenay-lac Saint-Jean où chacune des communautés peut apparaître comme un monde à part. Saint-Cœur-de-Marie, Roberval, Sainte-Rose-du-Nord et bien d'autres « paroisses » forment nettement des petits mondes isolés ; les considérer individuellement, pourtant, fait commettre l'erreur d'occulter le fil conducteur qui réalise l'unité régionale : l'axe de la rivière et du fjord du Saguenay.
Comme ailleurs, le cadre naturel, la population et l'économie sont les paramètres les plus évidents qui viennent à l'esprit pour déterminer des ensembles régionaux. Par ce biais, il est aisé de distinguer des grands ensembles, de définition tout à fait simple et classique. À l'intérieur de ceux-ci s'organisent des grandes régions, elles-mêmes parfois divisées en plus petites unités, ces dernières rappelant nos « pays ». Le sentiment d'appartenance régionale apparaît comme un élément primordial dans la définition, mais il n'est malgré tout qu'un critère parmi d'autres.
Pour tenter de déterminer des espaces et des régions, les économistes fondent volontiers leur raisonnement sur des distinctions statistiques pour lesquelles l'unité peut être vaste (la province) ou plus réduite (le comté). Un tel découpage ne rend presque jamais compte des facteurs physiques ou des richesses naturelles ; il ne fait pas appel non plus à la perception de l'entité spatiale par ses propres habitants.
Les politiciens et, d'une manière générale, le grand public confondent très fréquemment au Canada régions et provinces, en se fondant eux aussi sur des critères statistiques et en faisant référence à l'histoire. De cette manière, ils évoquent en tant que région « la province atlantique » ou « la Prairie », alors que ce sont des espaces où des particularismes nombreux voilent souvent l'élément commun dicté par l'ambiance climatique ou la topographie : il est vrai que Terre-Neuve et la Gaspésie s'insèrent dans le même ensemble, mais combien sont nettes les oppositions entre la péninsule d'Avalon et les rivages de la baie des Chaleurs ! La géographie se doit de mettre en évidence l'ensemble des données du paysage au sens global du terme, c'est-à-dire en considérant une entité physique et humaine, sans oublier que se surimpose dans chaque cas, au niveau des populations, une « conscience régionale ». Chaque Canadien a probablement une vision différente de la spécificité de la région où il demeure, et sans doute chaque Canadien a une perception différente de la totalité du Canada.
Quatre rubriques essentielles peuvent être retenues pour parvenir à un découpage régional du Canada :
Tout d'abord, les interrelations entre les espaces et les – sociétés. Il s'agit ici de privilégier le plus souvent les facteurs physiques : géologie, géomorphologie, pédologie, hydrographie et hydrologie, végétation, climat. Et il convient d'examiner à ce propos comment les hommes ont pu ou n'ont pas pu s'intégrer à leur environnement.
Cette adaptation humaine, qui va de pair avec la mise en valeur – d'un cadre naturel, permet de préciser une identité paysagère régionale dans la mesure où le paysage, tel qu'il apparaît à présent, est la résultante d'un processus de structuration de l'espace à partir des deux composantes primordiales que sont les facteurs physiques et la répartition spatiale des hommes ainsi que leurs activités. De la sorte, de vastes superficies au Canada offrent des aspects similaires dans leur paysage, et c'est en regroupant ces similitudes dans un périmètre que l'on peut cerner le « caractère régional », la spécificité intrinsèque de l'espace ainsi délimité tout en saisissant du même coup les différences par rapport à d'autres unités spatiales.
On aboutit nécessairement à une répartition géographique des faits – qui s'ordonne obligatoirement suivant une typologie. Le paysage peut alors acquérir un aspect linéaire (le « rang » québécois) ou carré (le township ontarien). Cette allure géométrique est tout à fait caractéristique des pays neufs et, dans le cas d'un territoire aussi vaste que le Canada, les mêmes aspects paysagers peuvent s'étendre sur d'immenses surfaces et constituer un élément décisif dans la délimitation d'unités régionales.
Enfin, il faut tenir compte du fait que tout paysage est – dynamique. Si l'environnement naturel n'évolue finalement qu'assez peu à l'échelle d'une vie humaine, les adaptations humaines, elles, sont en perpétuelle mutation. L'évolution qui se poursuit de manière ininterrompue contribue à ce que la géographie régionale du Canada d'aujourd'hui ne soit plus du tout identique à celle d'il y a seulement deux décennies, tant l'interface homme-nature varie continuellement.
Alors, dans le périmètre canadien, quels espaces ? Quelles régions ? Comment parvenir à une division régionale dans laquelle il n'y ait ni trop ni trop peu d'espaces distincts ? Et comment sauvegarder, dans ce découpage, l'unité et la diversité du pays pris globalement ?
Partons de la vision régionale qu'ont les Canadiens de leur propre pays. Pour l'énorme majorité d'entre eux coexistent trois immensités : le Nord, l'Ouest et l'Est... Mais ne demandez jamais où commence le Nord et où l'on passe de l'Est à l'Ouest ! On peut être étonné qu'il n'y ait pas de « centre » et encore moins de « Sud » dans l'esprit des habitants. Pas de centre, car on ne saurait trop où le placer, même si le centre géographique entre Terre-Neuve et l'île de Vancouver se situe du côté de Thunder Bay et même si, pour les économistes, le « centre du Canada » s'identifie au triangle Toronto-Ottawa-Montréal, appelé également « cœur industriel ». D'ailleurs, lorsqu'on questionne à propos de Thunder Bay, on ne vous répond pas qu'elle est au centre de la fédération mais que c'est « la porte de l'Ouest »... Pas de Sud, pour une raison assez simple : dans l'esprit des Canadiens, ce que nous appellerions « le Sud », c'est en définitive tout le Canada, tant le pays, jusqu'à une époque récente, a paru ignorer son Nord.
Partager le pays en un Nord, un Ouest et un Est est une simplification grossière parce que trop imprécise. Un tel découpage n'acquiert pas la même signification suivant l'endroit où l'on se trouve : pour un habitant de Vancouver, un parent qui vit en Ontario, en Nouvelle-Écosse ou au Manitoba demeure « à l'Est ». Et tel autre citoyen de Saint-Jean (Nouveau-Brunswick) va « à l'Ouest » parce qu'il rend visite à son frère qui habite... Ottawa ! Quant au Nord, malgré les distinctions opérées en particulier par L.-E. Hamelin, qui distingue un Pré-Nord, un Moyen Nord, un Grand Nord et un Nord extrême, sa délimitation devient parfois fantaisiste chez beaucoup de personnes interrogées : pour les habitants de Windsor (Ontario), Timmins c'est déjà le « Nord profond », alors que cette ville est pratiquement à la latitude de Vancouver.
Les points cardinaux ne sauraient par conséquent permettre de déterminer des espaces, encore moins des régions au Canada. C'est pourquoi il y a lieu de rechercher des facteurs distinctifs suivant une optique se fondant sur les hommes, la mise en valeur et le cadre naturel.
On se trouve alors devant quatre nouvelles alternatives :
On dissocie d'abord un Canada peuplé ou « colonisé », marqué par – de fortes densités humaines et une intense activité économique, et un « Nord » quasi vide d'hommes et où l'économie ne connaît qu'un développement ponctuel.
Une deuxième opposition est d'ordre linguistique et historique : – d'un côté, le Canada anglophone et, de l'autre, les régions francophones, c'est-à-dire la province du Québec, l'Acadie et quelques îlots (Saint-Boniface près de Winnipeg par exemple).
En troisième lieu, on peut distinguer un « cœur » et un – « arrière-pays » (heartland et hinterland). À cet égard, en Ontario, les rivages des lacs Érié et Ontario, mais surtout le Golden Horseshoe forment le heartland, et le reste de la province n'est qu'un hinterland. Même séparation au Québec avec les pays laurentiens et le nord de la Belle Province. Au Manitoba, on oppose dans cette optique l'agglomération de Winnipeg à tout le pays rural et agricole qui, pourtant, lui est directement lié. À la limite, cette idée d'un heartland s'applique au Canada pris intégralement si l'on considère que, en dehors du sud de l'Ontario et du Québec, on n'est en présence que d'espaces en voie de développement ou de « pays » neufs.
Enfin, il faut noter qu'au Canada on a affaire à un territoire qui – est un amalgame de régions plus ou moins polarisées sur un noyau principal et souvent sur des centres secondaires. Autrement dit, une bonne partie de la superficie correspond à une imbrication de zones d'influence urbaines avec toutes les particularités que peut entraîner la structure politique fédérale. Dans cette perspective, ce sont les villes ou les agglomérations qui commandent le partage de l'espace et la régionalisation. Dès les années 1950, Pierre George écrivait qu'« en Amérique du Nord il n'y a de régions qu'urbaines ». Cela se confirme dans certains cas, mais pas partout : dans les provinces des Prairies, le schéma d'organisation de l'espace répond bien, au Manitoba, à l'influence centralisatrice de Winnipeg et dans les deux autres provinces à la rivalité que ne manquent pas d'introduire les binômes Regina-Saskatoon et Edmonton-Calgary. Mais, dans les provinces de l'Atlantique, il apparaît bien difficile de découper l'espace en fonction des agglomérations et de leurs zones d'influence, dans la mesure où la seule véritable agglomération est celle d'Halifax et où son arrière-pays est relativement limité. Ainsi, la séparation entre régions polarisées par les villes et régions non urbanisées n'apparaît pas automatiquement sous l'aspect des seules zones d'influence.
D'autres facteurs interviennent à plus vaste échelle. Ceux-ci sont majoritairement des éléments naturels, ce qui introduit des cadres spatiaux assez vastes comme support principal.
C'est pour cette raison que le Canada est un territoire dont l'ampleur engendre un double découpage : en espaces d'abord et en régions ensuite, voire en « pays » à l'intérieur de chacun d'entre eux. En rapport étroit avec les données physiques et la densité du peuplement et de la mise en valeur, on admet que le territoire canadien peut se partager en six espaces d'inégale étendue mais facilement discernables par un faisceau de caractères géographiques et économiques spécifiques.
Le plus vaste et, sans doute, le plus complexe malgré sa faible population, c'est le Nord. Ou plutôt les espaces nordiques, tant la dénomination de « Nord » se révèle ambiguë. Politiquement, le Nord regroupe le Territoire du Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Territoire du Nunavut. Cela le limite vers le sud au niveau du 60e parallèle, ce qui ne correspond pas, tant s'en faut, à une limite franchement géographique. Mais il est vrai que l'entité territorienne par rapport à la structure provinciale du reste de la fédération fait de ce Nord un monde structurellement à part, même si, au sud, ses composantes géographiques se rencontrent bien plus loin que le 60e parallèle.
Continental autant qu'insulaire, le Nord est d'une diversité que l'on ne soupçonne pas a priori. On imagine un espace désolé et froid, un désert au cadre physique invivable occupé par quelques peuplades dont on évoque même l'arriération. Dans la réalité, le Nord n'est pas que la terre d'élection de la toundra étendant sa carapace morne sur des vastitudes infinies. C'est un domaine en partie boisé et, plus souvent qu'on ne le croit, collinaire, voire montagneux.
Cet espace immense entouré par un océan gelé correspond, en bien des endroits, au prolongement d'autres unités que l'on rencontre plus au sud : le Territoire du Yukon est un élément septentrional de la cordillère de l'Ouest ; la vallée du Mackenzie prolonge vers la mer de Beaufort le monde des plaines de l'intérieur, et les montagnes de l'île de Baffin s'incorporent à la guirlande de reliefs qu'on suit jusqu'aux Appalaches tout en appartenant, par la géologie, au Bouclier. Mais ce Nord n'est pas que la continuation des espaces d'un domaine insulaire et arctique. C'est, au contraire, une mosaïque de régions où cohabitent la tradition et le modernisme, où se côtoient l'igloo et la plate-forme de forage pétrolier. C'est une terre d'avenir et en devenir et, en tout cas, la clé du futur, c'est-à-dire du Canada de l'an 3000.
Aussi vaste que lui se présente un autre espace en devenir : le bouclier. Son unité est avant tout géologique : la zone d'affleurement du vieux socle précambrien. Si l'on ne considère que ce critère, le bouclier empiète largement sur le domaine précédent et couvre, en gros, la moitié du Canada continental. Mais si, dans sa grande majorité, c'est le support géologique qui est l'élément déterminant, au-delà d'une certaine latitude (600 N. pour simplifier), c'est la nordicité qui l'emporte, et le bouclier s'efface en tant que tel devant le Nord territorien. Ce bouclier offre un espace moins varié et bien moins grandiose que le Nord. Les innombrables lacs qui apparaissent comme autant d'écrins dans un océan forestier ou rocailleux en font un monde tout à fait singulier. Mais c'est aussi une terre d'exception par l'abondance et la variété des ressources minérales, forestières ou hydrauliques. Le bouclier, c'est comme le réservoir et le magasin destinés à approvisionner le Sud, énorme consommateur de ses richesses. C'est aussi la réputation d'un climat particulièrement âpre jusque dans les contrées que la latitude fait considérer, pour le Canada, comme méridionales. Rien d'étonnant alors à ce que, comme dans le Nord territorien, l'on n'y rencontre qu'un habitat ponctuel là où les ressources du sol ou du sous-sol sont exploitées. À tous égards, le bouclier reste avant tout pionnier. La mise en valeur du potentiel hydroélectrique du pourtour de la baie de James montre assez qu'il est, lui aussi, une terre de la promesse, tout comme l'ont été les montagnes de l'Ouest il y a environ un siècle.
L'Ouest cordilléran, c'est la montagne par excellence ; c'est aussi l'espace le plus facile à définir et à délimiter. Même si des reliefs élevés existent ailleurs (îles de Baffin ou d'Ellesmere), l'Ouest évoque pour le Canadien la montagne au même titre que les Alpes pour un Français.
Les montagnes de l'Ouest constituent le domaine des grands contrastes sur les distances les plus courtes. L'Européen, et en particulier l'Alpin, y retrouve ce contexte bien connu de petites unités qui s'ajoutent les unes aux autres pour former un ensemble tout en conservant intacts leurs particularismes. Ce qui n'exclut jamais l'évolution vers le modernisme : longtemps synonyme de région d'arboriculture fruitière, où la culture des pommiers tendait à devenir monoculture, la vallée de l'Okanagan vient de s'éveiller au tourisme et devient une aire de loisirs appréciée des habitants de Vancouver. Cet Ouest des montagnes, c'est aussi un Ouest pacifique et, par son climat exceptionnel autant que par sa position géographique, le delta du Fraser en devient l'élément moteur par rapport aux montagnes qui acquièrent les traits d'un arrière-pays. On retrouve là le cheminement vers la dichotomie déjà évoquée du heartland et de l'hinterland, dont les racines se trouvent en Ontario mais aussi dans les provinces des Prairies.
La Prairie, les Prairies, les plaines de l'intérieur : trois dénominations pour un même ensemble dont l'unité repose autant sur la géomorphologie que sur la mise en valeur. C'est le domaine traditionnel de la céréaliculture. Cependant, si celle-ci existe partout, ce n'est pas partout la même céréaliculture, car le climat impose par ses nuances des contraintes sévères dont la technologie et la science agronomique essaient de s'affranchir. Traditionnellement, les provinces des Prairies évoquent par leur paysage les alignements d'« elevators » le long desquels stationnent les interminables trains de céréales ; le paysage rural est celui des grands carrés des townships avec leur semis régulier de fermes. Mais cette image traditionnelle occulte le rôle croissant des villes qui subordonnent de plus en plus un espace rural ; celui-ci connaît l'exode et ne devient qu'un arrière-pays des agglomérations. Et, dans l'Alberta principalement, ce monde, qui ne compte d'ailleurs pas que des plaines, est aussi celui du pétrole, découvert dans la première moitité du XXe siècle à Leduc . Toutefois, le pétrole albertain a surtout profité au développement du véritable cœur de tout le Canada, c'est-à-dire à l'axe laurentien.
Les bas-pays des Grands Lacs et du Saint-Laurent sont un espace bien réduit en superficie, à l'échelle du pays, mais qui rassemble un peu plus de la moitié de la population nationale et d'où proviennent les trois quarts du produit intérieur brut. C'est véritablement le heartland du Canada. Tout concourt à en faire un ensemble de régions riches : les sols favorables, le climat supportable, la topographie facile, les fortes densités humaines, les grandes agglomérations et l'industrie. Et le tout en bordure de la voie de pénétration royale qu'est le Saint-Laurent, avec son double débouché sur la mer intérieure des Grands Lacs et sur l'Atlantique.
L'escarpement qui limite au sud le bouclier canadien détermine nettement la vallée du Saint-Laurent, et les contreforts appalachiens font apparaître un autre ensemble au sud du fleuve, conférant à l'axe Sud-Ouest - Nord-Est un aspect évident de grand corridor.
Cet espace agricole et industriel n'est pas uniforme et, là plus qu'ailleurs, se lit l'influence des deux grandes métropoles rivales, Montréal et Toronto, comme se remarque partout la dualité entre l'Ontario anglophone et le Québec francophone. L'existence de régions urbaines et de secteurs franchement agricoles apporte un élément supplémentaire de diversité, alors que les rivages lacustres et la vallée même du Saint-Laurent introduisent une différence nette. Aux deux extrémités de cette main street canadienne, deux villes de moyenne importance ressemblent à des sentinelles : Windsor, face à Detroit et à un des espaces les plus prospères des États-Unis, et la ville de Québec qui, du haut de son promontoire fortifié, est tout à fait dirigée vers le monde de l'Atlantique, dont elle est en quelque sorte la porte d'accès obligée.
Restent, enfin, les régions orientales, celles qui regardent vers l'Europe et qui furent les premières colonisées. Cette façade atlantique du Canada, à laquelle il faut ajouter le pourtour du golfe du Saint-Laurent, est appelée par les anglophones the bypassed East : c'est ce que les Canadiens dénomment « les Maritimes ». En vérité, c'est un espace qui s'accommode assez mal du découpage administratif, dans la mesure où l'on y ajoute la Gaspésie. On exclut le Labrador parce qu'il fait partie intégrante du bouclier tout en ayant un littoral atlantique et tout en appartenant à la province de Terre-Neuve ; on ajoute la péninsule de Gaspé, qui est québécoise parce qu'entre l'embouchure du Saint-Laurent et la baie des Chaleurs l'avancée vers l'est qu'elle représente s'inscrit parfaitement par sa position et ses activités dans ce contexte géographique fortement imprégné par la présence de l'océan. Cet ensemble, regroupant tout ou partie de cinq provinces (Terre-Neuve, île du Prince-Édouard, Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick et Québec), ce qui est unique au Canada, est à la fois continental et insulaire, et apparaît constitué de pièces et de morceaux sans qu'une unité se dégage de prime abord. Pourtant, cette unité se manifeste par le climat et par les paysages. Le premier est franchement océanique mais avec des caractères spécifiques de façade orientale d'un continent, c'est-à-dire frais et humide ; les seconds rappellent que nous sommes ici dans la terminaison septentrionale du système appalachien. L'unité vient aussi du fait que nous sommes là dans le seul ensemble géographique du Canada affecté par une convergence de facteurs économiques négatifs : revenus moyens moins élevés, chômage plus répandu et dépendance sans cesse croissante à l'égard des finances fédérales font de cet Est atlantique un espace ancien et en crise.
· Henri ROUGIER
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