Et Madame de Boisfontaine renchérissait :
- Madame ! Vous êtes trop honnête dame pour vouloir nous faire sortir ! Mais toute tremblante, elle restait agenouillée sur les marches, et n'en voulait bouger.
Comme bien on pense, la foule des fidèles était fort scandalisée, mais, vu la sainteté du lieu, se tenait coîte.
Du reste, du moins en public, personne n’eut osé, ouvertement, critiquer les nobles dames et les seigneurs.
Malgré la patience et les bonnes manières de Mr et Mme Dagobert, le ton de la dame du Mesnildot montant de plus en plus, le curé, qui, dans, la sacristie, revêtait les ornements sacerdotaux, crut de son devoir d’intervenir :
Vraiment ! Ce scandale dans le Saint Lieu, et, qui plus est le jour des Rameaux, où l’église est comble, ce scandale n’avait que trop duré !
Sortant de la sacristie, il interpelle les combattants :
- Mesdames ! Ce n’est pas un endroit pour vos disputes !
Mais, il lui fallut, par deux fois, recommencer ses gronderies et, ce n’est qu’après qu’il eut menacé de ne point dire la messe, que le calme revint dans l’église, sinon dans les esprits.
Tant bien que mal, l’office des Rameaux, suivant le rite habituel se déroula jusqu’à la fin …
Et, ce n’est qu’après, en retournant chacun chez soi, le long des chemins creux émaillés de primevères, que chacun put faire des gorges chaudes, en commentant l’événement.
Longtemps, on en parla dans les chaumières …
Le 16 avril, le lendemain même de cette querelle de famille accompagnée de voies de fait et d’injures publiques, Pierre Dagobert déposait plainte contre sa cousine de Laubrie pour « insulte faite à sa femme ». Il demanda dommages et intérêts auprès des juges de Saint-Lô, mais le malheureux ne put connaître le résultat de sa requête puisqu’il mourut le 1er mai suivant et fut inhumé dès le lendemain dans la nef de l’église de la Chapelle Enjuger à l’emplacement même où quinze jours auparavant les deux nobles dames s’étaient copieusement crêpé le chignon !
Cette affaire avait bien sûr profondément affecté le vieil officier et deux jours avant sa mort, le curé de la paroisse, Jean Bouillon, celui qui était intervenu dans la querelle, recevait son testament ainsi rédigé :
« Fut présent honorable Pierre Dagobert, sieur de Boisfontaine, de la paroisse de La Chapelle Enjuger, lequel gisant dans son lit mallade, en sa maison et terre de Groucy, touttes fois sain d’esprit et d’entendement, après s’estre confessé et avoir receu les sacrements, souhaitant mettre quelques ordres à ses affaires, nous a demandé de recevoir son testament qui nous a été dicté ainsi qu’il ensuit :
« Après avoir demandé pardon à Dieu, a déclaré qu’après que Dieu aura disposée de luy, il souhaite que son corps soit inhumé au lieu et place de ses ancestres, en l’églize du dit lieu de la Chapelle, et pour la dispense qu’il conviendra faire, tant pour les frais funéraires que pour faire prier Dieu pour le repos de son asme, il en laisse dlle Jeanne-Jacqueline de Gourmont son espouze, et Me Michel Dagobert, sieur du Manoir son fils aisné, déclarant qu’il establit et souhaitte que la dite damoiselle son espouze soit tutrice de leurs enfans et que son fils aisné soict tutteur avec elle, cognoissant la conomye et la prudence de ladite damoiselle son espouze.
Le dit testateur a donné à l’églize de La Chapelle Enjuger un devant d’autel pour mettre devant l’autel sainct Cellerin … »
Après le décès de Pierre Dagobert, sa veuve eut à poursuivre un procès contre les prétentions de demoiselle Jacqueline- Françoise de Hottot, veuve de Jacques de Laubrie « dans la possession et jouissance du droit de banc, séance et sépulture des ancestres dans la place qu’ils ont toujours occupée devant l’autel Saint Célerin ».
Aussi, Jeanne-Jacqueline de Gourmont malgré son chagrin, réunit le plus de titres qu’elle put concernant les fiefs de Groucy et de l’Adigardière. Le plus ancien, rescapé de l’incendie de Mesnil Durand, datait du 15 avril 1437 : c’était une donation par le roi d’Angleterre au sieur d’Hermanville, des biens de Mathieu de Chanteloup, écuyer sieur de Groucy, Saint Vaast et Laubrie, resté fidèle au roi de France. Elle avait aussi retrouvé un parchemin de 1142 attestant que Richard de Bohon, seigneur de La Chapelle Enjuger, consentit par un accord fait entre eux, que les seigneurs de Groucy et du Mesnildot jouiraient paisiblement des droits honorifiques de l’église et pourraient mettre chacun un banc dans le chœur où ils pourraient aussi faire apposer leurs armes.
Dame Justice prît tout son temps pour entériner l’accord de Richard de Bohon, en reconnaissant, à chacun des parties, les mêmes droits renvoyant ainsi les plaideurs dos à dos. Quant aux insultes faites à la Dame Dagobert n’ayant plus son mari pour la défendre et malgré tous les témoignages en sa faveur, elle fut déboutée de sa demande de dommages et intérêts. Estimant que les de Laubrie avaient des intelligences avec les juges de Saint-Lô, elle fit appel à Rouen mais le procès traîna en longueur et aucune décision ne fut jamais rendue … Mais toute cette affaire avait remis en mémoire la journée du 10 juin 1574, celle de la prise de Saint-Lô par les troupes catholiques sous les ordres de Matignon et l’incendie du manoir de Julien Dagobert avec la fameuse chanson qui voulait réparer les outrages faits à Monseigneur Artus de Cossé à l’envers sur son âne en 1562. C’est pourquoi, les juges, prévenus à l’égard de la famille Dagobert considérée malgré la conversion de Gédéon, le père de Pierre, comme de mauvais catholiques, les juges donc ne firent pas droit aux demandes de dommages et intérêts considérant les de Laubrie comme victimes de l’ambition des Dagobert au temps des guerres de Religion.
Et puis, il y avait eu en 1685 la Révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV, le petit-fils d’Henri IV le roi huguenot qui avait abjuré parce qu’il estimait que « Paris valait bien une messe ». Or, Jacques, le jeune frère de Pierre Dagobert et par conséquent beau-frère de Jeanne-Jacqueline de Gourmont était resté fidèle au protestantisme et avait donc été obligé d’émigrer à Jersey. Son fils était devenu par la suite gouverneur de l’ile. Tout cela n’était pas, à l’époque du roi-Soleil, le plus tyrannique des rois de France, pour faire « bien voir » la famille Dagobert normande. C’est pourquoi on leur contestera leur noblesse sur les registres paroissiaux, mesquinerie bien dans l’esprit jésuite de cette époque de Contre-Réforme où l’église romaine imposait sa domination spirituelle sur la France.
Si Jacques, un frère de Pierre Dagobert resta fidèle au protestantisme, un autre de ses frères, Michel fut prêtre et devint docteur en Sorbonne de la faculté de Paris. Selon le Dictionnaire de la Noblesse, il fut même « Recteur de l’Université ». Pourtant, « il refusa l’évêché de Sisteron pour vivre en philosophe dans la petite cure de Cauquigny », ce qui semble prouver que ce personnage avait le sentiment d’être en désaccord avec la hiérarchie catholique et qu’il préférait méditer dans une petite paroisse du Cotentin autrefois si favorable au calvinisme et par conséquent au progrès. Il est vrai que la « grande persécution », celle de Louis XIV, entraîna pour la Normandie des mesures juridiques innombrables à la suite de la révocation de l’Edit de Nantes par l’Edit de Fontainebleau, en octobre 1685 : interdiction du culte, suivie immédiatement, dans l’hiver 1685-86, à partir de novembre, de la « dragonnades », de la menace et de l’emploi systématique du logement des gens de guerre. Il ne subsista donc presque rien du protestantisme autour de Saint Lô et l'émigration fut très forte, surtout parmi la noblesse, vers les îles anglo-normandes, l'Angleterre, mais aussi encore une fois vers Genève. A Saint-Lô, cette émigration frappa durement les industries locales, les serges, la teinturerie, la tannerie.
Donc, notre Michel Dagobert, curé - philosophe dédaignant l’évêché de Sisteron à l’époque de la révocation de l’Edit de Nantes, fut aussi un personnage énigmatique, assurément d’une grande érudition, et, un curieux manuscrit de parchemins composé de huit feuillets que l’on peut consulter à la Bibliothèque de Rouen dans la collection Leber pourrait bien être son œuvre. Ce document est ainsi intitulé :
« Auspex Omen Ludovico Magnum Francorum Regi invectissimo, pro novo anno exhibitium à Lazaro Francisco Dagobert, polono, anno 1682 mense januario, delineavit et script sit idem qui compusit et obtulit. »
Soit traduit en français moderne :
« Vœux adressés à Louis le Grand, roi des Français toujours vainqueur pour la nouvelle année, présentés par Lazaro François Dagobert, polonais l’an 1682 en janvier. Le même auteur a dessiné, écrit, composé et offert son œuvre. »
Jean-Michel Constant Leber, autodidacte qui réunit pendant trente ans une bibliothèque importante acquise par la ville de Rouen en 1838 présente ainsi l’ouvrage de Lazare–François Dagobert sans donner de précisions sur la personnalité de cet auteur :
« Hommage présenté à Louis XIV en caractères d’impression or et noir, avec encadrement de filets d’or larges bordures de traits d’écriture à l’encre d’or, armoiries, devises et fleurons peints en or et couleurs. On est frappé de la patience qu’il a fallu pour combiner le plan géométrique de deux pièces de ce manuscrit, formant un parallélogramme de neuf pouces sur sept. Chacune de ces compositions, dont il existe d’ailleurs des exemples fort anciens, ne contient que quelques mots qui se reproduisent exclusivement à chaque ligne, en tous sens et toujours dans un ordre différent. C’est peut-être le chef d’œuvre du genre. »
Il semble pourtant curieux qu’un érudit aussi averti n’ait pas été étonné par la bizarrerie du texte et encore plus par la singulière appellation que se donne l’auteur lui-même : polonais ! Dagobert, en effet, est bien loin d’être un nom de ce pays et puis, pourquoi puisque le texte est écrit en latin de même que les prénoms de ce pseudo Polonais, pourquoi donc son nom lui-même n’a-t-il pas été latinisé ?
La première page du manuscrit donne le ton du texte tout entier :
« Dédié à Louis Le Grand, roi des Français toujours vainqueur. » (bis repetita).
Je n’ai pas eu besoin de chercher à qui dédier mes souhaits de bonheur pour la nouvelle année, puisque je ne voyais personne de plus heureux en cette très heureuse terre de Gaules, que Toi, roi toujours vainqueur.
« Certes, j’aurais autant d’audace qu’Icare, et je me précipiterais d’un élan aveugle à ma propre ruine, si je voulais écrire d’une plume ambitieuse les illustres vertus qui ont obtenu par une vigoureuse action plus de succès que mon éloquence malhabile n’est capable d’en embrasser même par une simple énumération. Aussi cet éloge boiteux se contente-t-il d’honorer cette si grande Majesté et de lui demander sa protection. Je ne puis sans appréhension toucher à toutes les autres louanges par ce qu’en Toi, tout surpasse la gloire. Tu me pardonneras, Roi toujours vainqueur d’avoir osé accomplir ce modeste travail si inférieur à ta splendeur.
« Cependant, que cette audace ne me soit pas reprochée : la peur aurait été plus condamnable, si je n’avais pas eu confiance en ma plume, qui implore de la puissance divine en un esprit très soumis, un heureux cours de cette année et ta perpétuelle conservation. »
Les autres éloges reprennent les mêmes idées : grandeur de Louis XIV dans la guerre et dans la paix. La date : 1682, trois ans avant la Révocation de l’Edit de Nantes. A cette même époque, on l’a vu, Jacques Dagobert s’exila à Jersey avec sa famille pour « cause de religion ».
Qui était donc Dagobert « polonais » adressant des éloges dithyrambiques à Louis XIV alors qu’une opposition à la politique générale, et plus particulièrement religieuse du souverain, se développait dans tout le royaume ? Car en effet, dès 1679, l’Edit de Nantes fut appliqué dans un sens de plus en plus restrictif avec une série de mesures vexatoires suscitant des protestations nombreuses chez les Réformés. C’est à cette même date que deux libraires normands publièrent un ouvrage dans lequel ils critiquaient vivement la suppression des chambres mi-partites. Pour cela, ils furent condamnés à neuf ans d’exil.
Le mécontentement devint de plus en plus grand et provoqua des soulèvements sporadiques, bien vite réprimés. Parallèlement, se développa une opposition plus passive sous forme de pamphlets et d’écrits hostiles à Louis XIV : il semble bien que l’on puisse classer l’épigramme de Lazare François Dagobert dans cette campagne écrite contre l’absolutisme du roi et, comme au XVIe siècle, le mouvement partait de la Normandie.
D’ailleurs, des placards séditieux avaient déjà été découverts dans cette Province en même temps qu’un complot contre la sécurité de l’état dans lequel fut impliqué le chevalier de Rohan, ancien compagnon de jeux de Louis XIV. Le chevalier Louis de Rohan, grand veneur de France, né en 1635 était issu de l’une des plus illustres famille de France qui descendait des anciens rois et ducs de Bretagne. L’un de ses ancêtres, Henri, duc de Rohan, avait été chef du parti calviniste sous Louis XIII et son fils Tancrède participa aux troubles de la Fronde pour le parlement contre Louis XIV, en 1646.
Donc, le chevalier de Rohan et ses amis avaient décidé d’enlever le Dauphin, de renverser Louis XIV et de proclamer la république. Leur manifeste conservé parmi les pièces du procès de Rohan, était un véritable projet de constitution d’un gouvernement républicain. En voici un passage :
« Le but est de fonder un état populaire, invincible toujours florissant, toujours progressant par l’union et les efforts de tous à la prospérité et à la liberté générale. Au premier jour, les citoyens seront convoqués dans leurs paroisses pour qu’ils ne reconnaissent d’autres maîtres que la noblesse et le peuple libre … »
La lecture de ce passage donne l’impression d’avoir été écrit au début de la Révolution française cent ans plus tard ! Il présente surtout l’aspect d’un mouvement nobiliaire visant à remplacer le roi, par une république certes, mais par une république aristocratique. Cependant durant cette période, nous voyons émettre pour la première fois des principes de liberté et d’égalité par une opposition de plus en plus violente à l’absolutisme politique et religieux du roi et réclamant l’égalité devant l’impôt, de même que le respect des droits des sujets les plus humbles.
Ce fut certainement dans cet esprit que fut composé le manuscrit de Lazare François Dagobert, sans doute dans le but d’être imprimé ainsi que le démontre la présentation de même que les renvois en bas de pages impaires de la première syllabe des pages paires suivantes.
Malgré le souci de précision du dessin, des « erreurs » apparaissent comme délibérées : sur le fond du motif décoratif, les « L » couronnés et les fleurs de lys sont inversés. Le « O » de Ludovico est inscrit dans le « C », ce qui apparaît aussi comme volontaire. Enfin, cette mention « Francorum Regem » constitue, en 1682, un véritable outrage au souverain car, aucun roi de France et Louis XIV, prince absolu encore moins qu’un autre, ne porta jamais le titre de « roi des Français ».
Il fallut attendre la Monarchie de Juillet avec Louis-Philippe d’Orléans qui prendra ce titre de 1830 à 1848. Cette faute fut elle voulue ou l’auteur désira-t-il faire référence au Regnum Francorum des rois mérovingiens, celle dont il portait le nom du plus célèbre d’entre eux, le roi Dagobert ?
Au verso de la première page, figurent les armoiries de Louis XIV ou supposées telles puisque simplement de France avec les Trois lys sans figuration des armes de Navarre dont les Bourbons étaient également rois depuis Henri IV. Ambiguë, aussi, la devise accompagnant ces armoiries dont chaque mot peut avoir un double sens tout comme le reste du texte :
« Le bouclier de Louis, puissant dans la guerre qui, en d’autres lieux récolte les palmes inégales et ici des Lys ».
La suite du manuscrit est ornée de fleurons formant le frontispice en-tête de chacune des trois épigrammes précédant les éloges qui les commentent. Ces fleurons semblent représenter les visions dont l’auteur eut révélation et qu’il présenta à Louis XIV.
En tête de la première épigramme, le frontispice représente un bras revêtu d’une armure dont la main tient une branche feuillue avec un rameau figurant une main de justice. Cette branche semble arrachée du sol par ce bras vigoureux et les racines, ou plutôt les tubercules en forme de cœurs, restent attachés à la branche de vesce. La devise : « les cœurs triomphent » est aussi très énigmatique car en contradiction avec le dessin puisque ce bras armé semble arracher et non pas brandir triomphalement une plante qui semblait avoir fait éclore la justice par l’esprit, symbolisé par les cœurs, racines de la plante …
La seconde épigramme est surmontée d’un frontispice représentant la mer sous un ciel d’orage avec une fleur de lys : deux éclairs menacent les embarcations à voile carrée de type méditerranéen. Au premier plan, une grève avec ses coquillages et, à droite, une presqu’île, un village et son clocher. La devise, « c’est le feu qui vient comme récompense » n’est pas moins étrange que la première. En effet, les équipages des bateaux qui semblent toucher au but, donc espérer la récompense de leurs efforts, ne reçoivent que le feu d’un ciel ou se trouve la fleur de lys symbole de la royauté française.
Le troisième frontispice est encore plus singulier : dans un cartouche surmonté d’une tête de lion, ornée de bajoues rejoignant la crinière, une bougie allumée dont la flamme diffuse une lumière noire est posée sur une table avec une sorte de globe sur pied ressemblant à une urne antique. La pièce dans laquelle se trouve la table avec les deux objets dessus est carrelée par un damier noir et blanc. Au fond de la pièce pend une tenture baissée et l’étrangeté du décor réside dans les rayons noirs provenant de la bougie qui assombrissent la table, la tenture une partie du globe et du carrelage. En dehors de ces rayons, tout le reste est clair. La devise :
« Avec le résultat, la lumière revient. »
Tous ces graphismes et les textes qui les accompagnent ont donc des caractères ésotériques, voire hermétiques évidents et le damier noir et blanc, le rideau baissé, l’urne, font immédiatement songer aux symboles maçonniques.
En effet, dans le langage et les rites maçonniques, recevoir la lumière, c’est être admis à l’initiation. La donner est un rite qui se célèbre à l’ouverture d’une réunion dont seul le vénérable tient le cierge allumé. Certes en 1682, la franc-maçonnerie n’était pas encore constituée en France, puisqu’il faudra attendre 1728 pour voir l’apparition des premières loges à Paris. Cependant, certains auteurs ont pensé déceler chez les adeptes d’une secte protestante, les Sociniens, la source des doctrines maçonniques avec d’autres sectes particulièrement celle de Cagliostro en 1788 pratiquant le Rite Egyptien des Rose+Croix.
Qu’était donc le Socinianisme ? C’était « l’hérésie » des partisans de Socin, théologien né à Vienne en 1525, lequel avait construit un système rejetant la Trinité et particulièrement la divinité de Jésus-Christ. Cette doctrine qui rappelait l’arianisme et même le catharisme par certains points, était rationaliste, supra-nationaliste : la Bible est inspirée mais doit être interprétée rationnellement. Désavoué par Calvin, Socin dut se retirer en Pologne où il fut protégé par Sigismond puis rentré à Zurich, il y mourut en 1562. Le roi Sigismond mourut en 1572 et, l’on s’en souvient, c’est Henri III qui fut élu par les Polonais pour lui succéder. Il s’était distingué par une grande tolérance religieuse et par son goût pour les arts, ce qui expliqua la protection qu’il accorda à Socin.
Le neveu de Socin, Fausto, prit la résolution de répandre cette doctrine. Dénoncé en 1559 à l’Inquisition, il s’enfuit à Zurich puis après un retour à Florence, le désir de travailler à l’union des sectes sociniennes le conduisit à Bâle, puis, comme son oncle précédemment en Pologne. En 1587, il établit une entente parmi les sociniens qui se constituèrent en Eglise sous le nom de « Frères polonais ».
Par la suite, le protestantisme libéral, qui eut pour pères Castellon puis Erasme et Socin, eut pour principe formel le « libre examen » placé au-dessus de toute autorité extérieure, l’Ecriture Sainte comprise ; il réussit à s’implanter dans les confessions historiques de la Réforme et il existe encore à l’état de confession distincte en pays Anglo-Saxon (Unitaires) en Hollande et même en Hongrie (Remontrants, Sociniens.)
Il semble donc à peu près certain que Lazare François Dagobert appartenait à cette confession distincte du protestantisme qui fut peut-être l’une des origines de la franc-maçonnerie au Siècle des Lumières peu après la mort du Roi-Soleil, en 1715.
Voici donc l’explication rationnelle semble-t-il du qualificatif de « Polonais » qu’il s’était lui-même donné dans la présentation de son œuvre à Louis XIV.
Enfin, les deux carrés magiques « Labyrinthus » et « Cubus » établir à partir de phrases latines sans signification apparente, « Vainc les aigles, Louis, soit ainsi dans les ans des ans », et, « Louis vit invaincu de nombreuses années » ont toutes les caractéristiques de cryptogrammes dont il serait intéressant de trouver les clefs de même que le sens profond du texte latin.
Donc, on peut imaginer que ce manuscrit n’est pas le simple hommage d’un sujet « très humble et très obéissant », mais un avertissement au champion de l’absolutisme et de l’arbitraire. Il peut être ainsi interprété :
S’il n’introduit (le Roi) dans son règne un certain degré de démocratie réclamé non seulement par le Peuple mais aussi par la plus grande partie de la Noblesse (Les cœurs et la main de justice avec la branche de vesce, symbole du renouveau) il s’attirera les foudres du ciel et le déni de sa race. (L’orage et la fleur de lys du second fleuron). Alors, le Roi Soleil, tel Icare tombera à la mer et sa dynastie connaîtra la déchéance.
Par contre, si la lumière éclaire enfin le Peuple, autrement dit si le souverain entend la voix de ses sujets en ayant recours à ses suffrages, le rideau restera baissé sur le mystère qui plane comme une menace sur les Bourbons.
Lazare, c’est le ressuscité et l’auteur à choisi ce prénom avec François, référence aux Français bien sûr, mais surtout aux Francs, peuple de Clovis « Rex Francorum » dont Dagobert Ier reste le symbole du mythe mérovingien des rois-perdus, des rois-revenants. On se souvient en outre, combien Julien Dagobert avait été influencé par les prophéties de Nostradamus tout comme Catherine de Médicis et ses trois fils dont le dernier, Henri fut pour un temps fort court d’ailleurs, roi électif de Pologne succédant à Sigismond. Ce manuscrit fut donc un rappel du système monarchique en vigueur chez les Francs qui choisissaient leur roi par acclamation en le hissant sur le pavois ce que la loi salique, si souvent évoquée par la suite, avait entériné en assurant la continuité de la dynastie mérovingienne par la règle de primogéniture jusqu’à l’usurpation de Pépin-le-Bref, l’ancêtre des Carolingiens mais aussi des Capétiens, des Valois et des Bourbons puisque tous se réclamaient d’une descendance de Charlemagne, de même d’ailleurs que beaucoup de « grandes familles » comme les Guise ou les Brissac.
Ainsi, la légitimité des Bourbons était remise en cause une fois de plus tout comme elle avait été remise en cause au temps de la Fronde par les Orléans et les Rohan qui voyaient en Louis XIV le fils de Mazarin.
Lazare, c’est le « ressuscité » mais c’est aussi le « pauvre » dans l’Evangile de Luc : à quel titre les Dagobert se seraient-ils considérés comme les « parents pauvres » du puissant Louis XIV ? Qui fut le Masque de Fer ? Quel secret détenait Fouquet enfermé jusqu’à sa mort dans une forteresse ? Et pourquoi Poussin avait-il peint des tableaux aussi énigmatiques, ce dont l’abbé Fouquet frère de l’Intendant faisait état dans une lettre retrouvée dans les archives des Brissac ?
Ainsi, tout porte à penser que Lazare François Dagobert était de la même famille que Julien Dagobert et appartenait à une société secrète aux idées politiques très en avance sur son temps. Il fallait donc rechercher dans l’histoire de cette famille normande les raisons qui avaient poussé l’auteur de ce manuscrit à exprimer ses idées sous forme de vœux dans un hermétisme ne pouvant être compris que par les seuls initiés. Ce n’est que la preuve d’une extraordinaire prescience et dans ce cas c’est aussi le témoignage indiscutable de l’ouverture d’esprit d’une famille qui, forte de son passé et bien avant la Révolution, depuis la Réforme au moins, osa braver l’absolutisme du pouvoir royal issu des Capétiens et des Bourbons.
Pierre Dagobert eut donc neuf enfants de sa pétulante épouse Jeanne–Jacqueline qui décéda le 2 avril 1747 à l’âge de 76 ans. De ces neuf enfants, un seul garçon assurera la postérité de la branche normande aînée : Gabriel Dagobert, sieur de la Bretonnière né en 1699, et mort le 18 août 1755 qui épousa au Mesnilbus le 26 mai 1734 demoiselle Jeanne Elisabeth Campain dont il eut cinq enfants parmi lesquels Luc – Siméon Auguste Dagobert général révolutionnaire, « roi sans culotte » héros de la guerre d’Espagne en 1794.
Avant de quitter la famille normande des Dagobert, il nous faut dire un mot d’un frère de Pierre Dagobert, François-Hector, sieur de Boisfontaine qui « servoit dans le régiment de Bretagne, une affaire avec Mr de Saint Vallier, son colonel, l’obligea de passer chès l’étranger. On lui envoya un autant de la présente généalogie, signée de plus de trente des meilleurs gentilshommes du païs et légalisé du juge de Saint-Lô. Sa majesté le Roy de Prusse le plaça dans son premier bataillon des gardes ; il étoit de la taille de six pieds un pouce et très bien fait, il avoit la réputation d’être un des plus beaux hommes de France ; il y mourut (en Prusse) peu de temps après ».
Pour quelle raison, François - Hector quitta-t-il le service de M. de Saint Vallier pour se mettre au service du roi de Prusse ? Selon Madame Destors, le « beau Dagobert » (ce qui n’est pas sans rappeler le « beau Brissac » dont nous avons raconté l’histoire) aurait eu une histoire de femme avec le marquis de Saint Vallier qui l’aurait provoqué en duel. Le duel s’étant conclu par la mort du marquis, le « beau Dagobert » se serait vu forcé d’émigrer ce qu’il aurait fait d’autant plus volontiers qu’il était resté protestant et qu’il avait aussi adhéré aux « idées nouvelles » propagées dans les loges maçonniques. Le roi Frédéric, grand ami de Voltaire n’avait donc pas manqué d’accueillir une telle recrue dans sa garde personnelle et ceci d’autant mieux que la dite recrue prétendait descendre des rois prestigieux de la première dynastie si chers aux empereurs germaniques comme ils le seront plus tard aux empereurs d’Allemagne Guillaume Ier et II. N’oublions pas en effet, que les rois francs étaient des Germains pour les hommes de cette époque et que, jusqu’à la seconde guerre mondiale, la rivalité franco-allemande pèsera lourd dans les mentalités des dirigeants de nos deux nations à cause justement des origines germaniques supposées des rois mérovingiens.
Ajoutons à cela le protestantisme si vivement persécuté par Louis XIV, ce qui avait entraîné la fuite de nombreux huguenots vers la Prusse, particulièrement à Berlin ; on comprend donc que François - Hector se soit retrouvé « chez lui » en quelque sorte. Ainsi, sur deux générations se trouveront des Dagobert obligés de quitter la France pour devenir Anglais et Prussien parce qu’ils n’étaient pas en accord avec le Pouvoir et l’Eglise romaine.
Désormais, nous arrivons à la fin de la famille Dagobert normande, celle de la branche aînée de « petite noblesse » comme il est écrit dans tous les ouvrages consacrés à celle-ci.
Gabriel Dagobert « officier dans le Régiment du Colonel-Général des dragons » avait eu cinq enfants d’Elisabeth Campain dont quatre garçons. L’aîné, David-Auguste, né le 31 octobre 1734, mourut jeune vers 6 ou 7 ans. Il ne resta donc que trois frères, fondateurs de la Loge maçonnique militaire « Les Trois Frères Unis » à Versailles :
Luc-Siméon Auguste né le 8 mars 1736 qui deviendra le général révolutionnaire dont nous avons raconté l’histoire dans la première partie de cet ouvrage ;
Gabriel-Charles, né le 1er février 1741, sieur de Groucy, qui fut porté sur la liste des émigrés et mourut en 1794 en rentrant clandestinement en Normandie ;
Enfin Jean-Gilles Dagobert né le 4 juin 1746, écuyer, sieur de Boisfontaine, capitaine de cavalerie, garde du corps du roi dans la Compagnie écossaise tout comme Gabriel Montgomery du temps de Henri II. Il mourut bien avant la Révolution en 1781, un an après le mariage de son frère Luc à Cascastel des Corbières le 8 août 1780.
Les trois frères Dagobert étaient donc fort bien connus à la cour de Versailles au temps de Louis XVI et l’on savait qu’ils appartenaient à des loges maçonniques du Grand Orient dont Philippe d’Orléans était le Grand Maître. Ils étaient donc mal vu des grands seigneurs et des « dévots » qui gravitaient autour de Marie-Antoinette, ceci d’autant plus que l’on ne les considéraient pas comme de « bons catholiques » compte tenu de leurs antécédents huguenots. C’est pourquoi la « chanson du roi Dagobert » qui avait irrité François-Hector lorsque le marquis de Saint Vallier s’en était pris à lui, peut-être pour une histoire de femmes. Cette chanson réapparut de plus belle parmi les grands seigneurs hostiles à Philippe d’Orléans. Et, chacun d’eux rivalisa d’humour pour inventer un nouveau couplet raillant du même coup le faible Louis XVI jugé indécis et trop bon avec le peuple.
Mais, tous ces beaux esprits n’avaient pas réalisé que le comte de Saint Germain qui avait été présenté à la Cour de Louis XV en 1750 n’était autre que le grand-oncle des « Trois Frères Unis » de la loge maçonnique de Versailles ! De même, qu’ils étaient bien incapables de deviner que le comte de Saint Germain serait l’initiateur de Cagliostro et qu’il assisterait au Convent de WILHELMSBAD, en 1782 avec le marquis de Chefdebien et le comte de Virieu pour une tentative de formulation organique, rituelle et doctrinale de l’ordre maçonnique à l’initiative de Weishaupt, Grand-Maître des Illuminés de Bavière. Ce fut au cours de ce convent que fut fermement reconnue la filiation templière de la Franc-Maçonnerie non par attachement historique mais dans l’espoir de découvrir le trésor occulte du Temple de Jérusalem. On comprend donc pourquoi Luc Siméon Auguste fut la victime des traîtres qui avaient pour nom Chefdebien et Virieu : à cause de son mariage en 1780 avec Jacquette Pailhoux de Cascastel.
Luc-Siméon Auguste fut donc le plus visé par la verve des courtisans de la reine et de sa cabale. Les positions affirmées des Dagobert au cours des guerres de religions puis leurs abjurations plus ou moins sincères jugées comme des retournements successifs furent bien évidemment le prétexte, depuis la fameuse nuit du 10 juin 1574, au succès de l’une des plus populaires chansons françaises. Matinée avait, déjà avancé au début du XXe siècle « qu’une chanson méchante et méchante chanson » fut dirigée contre la famille du général Dagobert ». Il en plaçait l’origine sans doute à la fin du XVIIIe siècle, alors que le comte d’Estournel, quant à lui en revendiquait la paternité au début du XIXe siècle. Or, on l’a vu la chanson dans son couplet originel datait du XVIe siècle, puis fut reprise à la fin du XVIIe siècle, époque à laquelle débuta la querelle entre les Laubrie et les Dagobert à propos du droit de banc en l’église de La Chapelle Enjuger.
Il y a un certain nombre d’indices permettant de dater les différents couplets suivants celui de « la culotte à l’envers », plusieurs mots ou expressions n’étant pas utilisés ou n’existant pas antérieurement : sabre (milieu XVIIe), tignasse (1680), « être gris » (1690) ... Quant au sens des différents couplets, ils se rapportent indubitablement aux événements ayant marqué l’histoire de la famille normande.
Sur le premier couplet, le plus connu :
Le bon roi Dagobert avait sa culotte à l’envers
Autrement dit avait mis la religion à l’envers
Le grand Saint Eloi lui dit : O mon roi
Votre majesté est mal culottée
Appel à la conversion en tournant en dérision les ambitions jugées ridicules de cette famille huguenotte.
C’est vrai lui dit le roi, je vais la remettre à l’endroit.
Abjuration promise mais non suivie d’effet.
Sur le troisième couplet, l’habit vert, qui est cité représente l’uniforme des dragons, régiment dans lequel servirent Gédéon puis Gabriel son petit-fils. Or, l’on sait que les dragons recueillirent une sinistre réputation dans la chasse aux protestants après 1685 et l’on imagine sans peine quelle torture morale pouvait représenter celle-ci pour Gabriel dont le grand-père et ses aïeux étaient nés dans cette confession ! Pas étonnant qu’un « détestable rimailleur » (selon le mot de Voltaire) ait cru spirituel de chanter à Gabriel Dagobert :
« Le bon Roi Dagobert fut mettre son bel habit vert
Le grand Saint Eloi, lui dit ô mon Roi !
Votre habit paré, au coude est percé ;
C’est vrai lui dit le Roi, le tien est bon prête le moi ! »
Dans un autre couplet, la chasse dans la plaine d’Anvers fait allusion aux guerres menées par Louis XIV dans les Flandres à la fin du XVIIe siècles, guerres auxquelles les Dagobert militaires participèrent : Jean-François qui fut tué le 14 juin 1658 à la bataille des Dunes, pendant que son frère Pierre, le mari de Jeanne-Jacqueline était officier dans le régiment de Canisy. D’ailleurs, les allusions à la carrière militaire de la famille normande se retrouvent dans le « grand sabre de fer » et « le bon roi Dagobert se battait à tort à travers » et cela correspondait au duel de François-Hector avec le marquis de Saint Vallier.
Mais ce fut surtout Luc Dagobert, le futur général révolutionnaire qui fut le plus visé par plusieurs couplets. D’abord pour se moquer du capitaine du Royal-Italien écrivant beaucoup et envoyant des mémoires à ses supérieurs dans le but fort louable d’améliorer la vie des militaires :
« Le Roi faisait des vers, mais il les faisait de travers
Le grand Saint Eloi, lui dit ô mon Roi
Laissez aux oisons, faire des chansons
Et bien lui dit le Roi, c’est toi qui les fera pour moi !
Et puis, lorsqu’il épousa Jacquette de Cascastel, beaucoup plus jeune que celui qu’on appelait déjà « le vieux Dagobert », on ne manqua pas d’écrire plusieurs couplets sur les « risques » encourus par un mari toujours loin de sa femme à cause de sa vie de garnison, par exemple :
« Le bon Roi Dagobert, allait à la chasse au pivert
Le grand Saint Eloi, lui dit ô mon Roi !
La chasse aux coucous, vaudrait mieux pour vous
Et bien lui dit le Roi, je vais tirer, prends garde à toi ! »
Couplet encore plus perfide, celui qui se moquait de la manière dont le général portait son bicorne :
« Du bon Roi Dagobert, le chapeau coiffait comme un cerf
Le grand Saint Eloi, lui dit ô mon Roi !
La corne au milieu, vous irait bien mieux
C’est vrai lui dit le Roi, j’avais pris modèle sur toi ! »
En 1794, la mort du général interrompit quelque temps la verve des chansonniers amateurs mais quelques années plus tard, Napoléon hérita de Dagobert, non seulement de ses ambitions politiques, mais aussi de la fameuse chanson.
Son infortune conjugale avec Joséphine fut ainsi chantée :
« La Reine Dagobert, choyait un galant assez vert
Le grand Saint Eloi, lui dit ô mon Roi
Vous êtes ... cornu, j’en suis convaincu !
C’est bon lui dit le Roi, Mon père l’était bien avant moi ! »
Les différentes campagnes de Napoléon furent persiflées :
« Le bon roi Dagobert, voulait conquérir l’univers
Le grand Saint Eloi, lui dit ô mon roi
Voyager si loin, donne du tintouin
C’est vrai lui dit le Roi, il vaudrait mieux rester chez soi ! »
pour les campagnes d’Italie, d’Egypte, d’Orient. Pour le camp de Boulogne on chanta :
« Le bon roi Dagobert, voulait s’embarquer sur la mer
Le grand Saint Eloi, lui dit ô mon Roi
Votre majesté se fera noyer
C’est vrai lui dit le roi, on pourra crier le roi boit ! »
Et puis, pour en finir, la campagne de Russie donna ce couplet :
« Le roi faisait la guerre, mais il la faisait en hiver !
Le grand Saint Eloi lui dit ô mon Roi
Votre majesté nous fera geler !
C’est vrai lui dit le Roi
Je m’en vais retournez chez moi ».
Napoléon, bien sûr, fit interdire cette chanson par la police, mais elle fut reprise par les chansonniers à la Restauration contre Louis XVIII qui en fit les frais. Béranger notamment écrivit des couplets vengeurs sur l’air du roi Dagobert contre les anciens aristocrates et il est curieux de rappeler quelques un de ces vers :
« Voyez ce vieux marquis
Nous traiter en peuple conquis
Vers son vieux castel
Ce noble mortel ... etc ... »
ou bien encore :
« Pour me calomnier,
Parlant d’un meunier
Famille eut pour chef
Fils de Pépin-le-Bref !
Plus noble ma foi
Que celle d’un roi ! etc ...
Chapeau bas, chapeau bas
Gloire au marquis de Carabas ! ...
Une fois de plus la police, toujours dirigée par Fouché, originaire du Pays Nantais où vivait alors François-Gilles Dagobert, fut chargée d’interdire cette chanson devenant de plus en plus satirique, anti-royaliste et connaissant un succès populaire de plus en plus grand.
A quelle époque, de chanson méchante contre une famille réputée ambitieuse et hérétique au regard de l’église romaine, puis de chanson à caractère politique est-elle devenue une chanson enfantine ? Celle que nous chantons si bien mais que nous connaissons si mal ! Probablement sous le règne de Louis Philippe Ier, fils de Philippe Egalité le premier Grand Maître du Grand Orient. Car, lui la connaissait bien l’histoire de la famille Dagobert et par conséquent celle de la chanson. C’est pourquoi, sous son règne de roi des Français, « roi-bourgeois » par conséquent plus libéral, fut achevé l’Arc de Triomphe à la gloire des Armées françaises de la Révolution et de l’Empire. Voici pourquoi, le nom du général Dagobert y fut inscrit de même qu’apparurent les premiers ouvrages illustrés sur les chansons françaises dont celle du roi Dagobert. Notamment avec des gravures de Torlet et Fontaine, en 1842.
Cependant, ce n’est que sous la IIIe République, avec l’école laïque de Jules Ferry que la chanson du roi Dagobert fera partie du répertoire des rondes enfantines apprises aux écoliers de France et d’Outre-Mer, de même que l’on leur apprenait que leurs ancêtres étaient les Gaulois, qu’ils soient nés à Dakar ou à Pointe à Pitre !
Ce n’était pourtant pas tout à fait ridicule puisque des Dagobert vivent actuellement aux Antilles, très exactement au Lamentin en Martinique, probablement descendants de l’un des fils de Pierre, Michel Dagobert qui servit dans les troupes coloniales au siècle des Lumières. Si le fait et la généalogie de ces Dagobert antillais pouvaient être vérifiés contrairement à ce que pensent les descendants du général Dagobert, la « maison » ne serait pas tombée en quenouille ! C’est à eux, s’ils prennent connaissance de cette histoire de faire des recherches pour retrouver leur filiation depuis le milieu du XVIIIe siècle en notant que la général Dugommier de son vrai nom Jean-Baptiste Coquille, frère d’armes du général Dagobert avec qui il repose dans le cimetière de Perpignan, était originaire de la même région, tout comme Joséphine de Beauharnais la première femme de Napoléon ...
Cette parenthèse étant refermée, la chanson du roi Dagobert connaîtra de plus en plus de succès depuis le début du siècle, grâce aux disques, à la radio, au cinéma, à la télévision ... Charles Trenet fera un arrangement de cette chanson et Fernandel avant Coluche incarnera le roi Dagobert au cinéma avec plus de bonheur car le film de Dino Risi fut considéré comme un « navet » par la critique unanime en dépit de la présence de Carole Bouquet, actrice bien connue pour avoir été mise sur écoutes téléphoniques par la Cellule de l’Elysée au profit d’un bien curieux Président de la République : François Mitterrand !
C’est dommage sans doute pour feu Coluche et pour le réalisateur mais cela prouve au moins une chose, c’est qu’ils ne connaissaient pas l’Histoire de France pas plus que celle de la chanson et de la famille Dagobert dont les quelques trente descendants ont eu parfois à déplorer la célébrité moqueuse de leur patronyme.
Mais, comment échapper à ce que l’on peut bien appeler la prédestination d’une métaphore germanique signifiant « Jour Brillant » portée par tant de personnages énigmatiques ? Et, de ce fait, à la jalousie de petites gens préférant l’ombre de la nuit ou l’anonymat d’une cabine téléphonique pour répandre leurs propos venimeux et diffamatoires.
C’est pourquoi, je termine ce chapitre en dédiant un couplet inédit de cette chanson au diable mal cuit que j’avais assimilé à Asmodée ainsi qu’à mon homonyme, un certain Daguebert, tous deux amis, ou plutôt complices de politiciens en quête d’exécutants pour leurs « affaires » d’ingérences, de corruption, et trafics d’influences en tous genres :
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