Chapitre quatrième
Thierry, moine de Fontenelle, fondée par Wandrille
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Childéric III, le dernier roi mérovingien régnant avait épousé Gisèle princesse originaire de Septimanie, probablement fille d’un comte de Rhedae descendant de Caribert, mérovingien d’Aquitaine, frère de Dagobert Ier. Elle avait eu deux fils de son mari : Thierry, l'aîné dont nous allons relater l'histoire et Sigebert qu'elle emmena avec elle dans son pays natal peu avant le coup d'état qui avait permis à Pépin le Bref de devenir roi des Francs. Une légende veut qu'elle se réfugia dans le Razès dont Rhedae était la capitale. Toujours, d'après cette même légende, elle aurait échappé avec son jeune fils aux poursuites des soldats de Pépin-le-Bref qui s’étaient assurés de la personne de Thierry. Mais le Razès était bien gardé et les sbires de l'usurpateur ne purent mettre la main sur Sigebert. On devine donc l'inquiétude de Pépin le Bref et son empressement à enfermer Childéric III et son fils aîné dans des monastères éloignés de la Septimanie afin qu'ils ne puissent avoir aucun contact entre eux, ni avec Gisèle ! Cela explique aussi l’injonction du pape faite au peuple franc en leur défendant de choisir un autre roi que dans la famille Pépin.
Pourtant, Pépin le Bref avait commis une lourde erreur en faisant enfermer Thierry à Fontenelle dont le fondateur Saint Wandrille avait laissé dans l'abbaye une fidèle tradition mérovingienne que l'on retrouve même de nos jours. Certes, maître de toute la France après la bataille de Tertry, Pépin de Herstal (ou d'Héristal) et ses descendants firent élire des abbés de Fontenelle tout à leur service tel Saint Bénigne qui fut cependant déposé en 715 par Chilpéric II et son maire du palais Rainfroy. Bénigne fut remplacé par Wandon partisan des Mérovingiens. Il devint abbé de Fontenelle dans le courant de l'été 718. Laissons la plume à Dom Jean Laporte, moine de Saint-Wandrille :
"Mais bientôt allaient venir les jours difficiles. Après quelques raids sans résultats définitifs dans la forêt des Ardennes, le combat décisif entre Rainfroy et l'austrasien se livra le 21 mars 717 à Vincy, aujourd'hui Crèvecoeur-le-Grand, à une dizaine de kilomètres au sud de Cambrai et Wandon, volontairement ou non, figurait dans l'état-major neustrien. La bataille âprement disputée entre les masses neustriennes et les troupes peu nombreuses mais solides de Charles, se termina par la victoire de ce dernier. Rainfroy, directement visé par la haine de son adversaire, courait, fuyant pour sa vie, entouré d'un petit groupe d'hommes…Après deux journées de course éperdue, le cheval du fugitif , épuisé, lui refusait le service. Mais, Wandon ou l’un des siens amena à Raimfroy un cheval rapide grâce auquel il put franchir la Seine avant l’arrivée de ses poursuivants et se réfugier en Anjou.
Charles était bien vainqueur, mais un peu embarrassé peut-être de l'étendue de sa victoire, il hésitait à toucher aux situations acquises, préférant de beaucoup le ralliement ou la collaboration de ses adversaires de la veille. Son neveu Saint Hugues, futur abbé de Fontenelle, confirmait l'année suivante à Wandon toujours sur son siège, le domaine de Bouillancourt. Mais, comme l'attitude réticente de l'abbé ne satisfaisait pas le vainqueur, il se rappela fort opportunément l'histoire du cheval prêté à Rainfroy et, du coup, envoya à l'automne de 719 Saint Wandon en exil "vers l'Est", au monastère de Saint-Servais de Maëstricht. Il devait y rester vingt huit ans. Saint Bénigne fut replacé à la tête de l'abbaye."
"Mais il était écrit dans les cieux que Wandon, octogénaire pour le moins, ne finirait pas ses jours en exil et foulerait encore la terre cauchoise. Les événements avaient marché à Saint Wandrille. Après trois excellents supérieurs Saint Bénigne, Saint Hugues, Saint Landon, les pillards faisaient leur apparition : Teutsinde, clerc bavarois qui distribuent les domaines de l'abbaye à ses amis, Guy, chasseur et bon vivant, compromis dans une conspiration contre Pépin le Bref, enfin Rainfroy (homonyme du maire du palais de Chilpéric II n'ayant rien à voir avec celui-ci) qui entreprit de couper les vivres aux religieux afin de pouvoir supprimer l'abbaye à son profit. Mais cette fois, les victimes résistèrent. Après mûre délibération et prières publiques, elles déléguèrent vers le maître trois d'entre eux, Austrulf, un courtraisien qui était prieur, un meldois appelé Wuldrebert et un italien de Bénévent, nommé Laurent. On était en 747 environ (sous le règne de Childéric III bientôt déposé par Pépin le Bref). Quatre ans auparavant, au synode de Leptines, Pépin s'était résolu, sous l'influence de Saint Boniface, à remettre de l'ordre dans l'église franque et se trouvait encore dans toute la ferveur de sa conversion. Aussi, sans plus attendre déposa-t-il Rainfroy".
"Puis, Pépin de mieux en mieux disposé, leur ayant demandé de désigner leur candidat, ils nommèrent Wandon."
"Tout se passa donc pour le mieux du monde et, plus heureux que Saint Ansbert, (il fut révolté par l'usurpation de Pépin d'Héristal, l'austrasien et fut exilé au monastère de Hautmont-sur-Sambre dont les abbés étaient dévoués aux intérêts des Pippinides), Wandon revit de ses yeux le monastère de sa jeunesse."
"La paix et l'abondance étaient revenues à Fontenelle ; aucun parti contraire ne se manifesta et les Pépinistes eux-mêmes ne purent que s'incliner devant la volonté de leur suzerain."
"Dans les derniers mois de l'année 751, avant que ses yeux ne se fussent clos à la lumière, vint à Fontenelle pour y recevoir l'habit, un jeune homme devant qui les religieux s'inclinaient très bas : c'était Thierry, l'héritier de Childéric III, le dernier Mérovingien qui ait porté le diadème, et que Pépin le Bref, vainqueur envoyait finir ses jours dans le cloître. De toutes les amertumes qu'avaient goûté Wandon depuis la fatale journée de Vincy, celle-ci, quoique prévue depuis longtemps, fut peut-être la plus douloureuse. Le vieillard reçut l'adolescent et lui fit entendre les premières paroles de paix, d'oubli et de soumission à la volonté de Dieu, qui règle à son gré les destinées des hommes …"
"Anstrulf, qui dirigeait depuis longtemps le temporel prit alors sur la demande des religieux le gouvernement général du monastère. Favori de Pépin, il débuta brillamment en obtenant de lui un diplôme qui accordait à Fontenelle les droits régaliens sur ses tenanciers. Il semble avoir activement travaillé à augmenter les possessions de la maison en Cotentin, où Lestre, Brix, Saint Sauveur de Pierreport, Belleville, Périers, Vesly ont conservé la mémoire de Saint Wandrille".
Tout au long de l'histoire de la famille Dagobert, à partir de ce jour de novembre 751 jusqu'à la mort du général Dagobert dit de "Fontenille", nous verrons apparaître ces noms de localités du Cotentin à l'ouest de Saint Lô.
En effet, et bien qu'aucune archive n'ait été retrouvée jusqu'à présent pour en apporter la preuve irréfutable, il est certain que Thierry fut envoyé comme prieur dans l'une de ces filiales, sans doute celle de Périers, afin qu'il puisse échapper à la surveillance de Pépin-le-Bref bien trop occupé désormais à consolider sa dynastie en se faisant sacrer par le pape Etienne II comme on l'a déjà vu dans le précédent chapitre. Cet acte solennel conféra à Pépin et à sa famille un caractère extraordinaire voulu par l'Eglise romaine : un véritable tabou les protège désormais et Etienne II interdit aux Francs de prendre des rois dans une autre famille sous peine d'excommunication. Surtout, "l'oint du Seigneur" devient ainsi un représentant de Dieu sur terre pour le pouvoir temporel, laissant au pape le pouvoir spirituel.
Les Mérovingiens ayant été ainsi définitivement écartés du pouvoir et dans l'impossibilité d'envisager une quelconque restauration, les deux héritiers Thierry et Sigebert se résignèrent chacun de leur côté et firent en sorte de perpétuer le souvenir de leur dynastie, l'un en donnant le nom de Dagobert à son fils, l'autre en épousant une princesse wisigothe fondant ainsi la dynastie légendaire de Wilfrid-le-Poilu dont descendirent les comtes de Barcelone, du Roussillon, de Cerdagne, de Besahe, de Pallars, de Ribaçordas … etc., et même les vicomtes de Tatzo, de Castellnon. C'est Charles Chauve qui signa l'année même de sa mort en 877 l'hérédité du comte Wilfrid. Tous ces actes ont été consignés et traduits, formant deux épais volumes que l'on peut consulter à la bibliothèque Mazarine à Paris.
Mais tous deux, Thierry et Sigebert, avaient été initiés au secret de leurs origines et ils avaient conservé les précieux parchemins qui leur avaient été donnés par leurs parents, Childéric et Gisèle.
En devenant prieur de la filiale de Perriers, Thierry avait donc assuré sa descendance à laquelle il transmis ces parchemins. On ne connaît pas la date de sa mort, probablement vers 800, à une époque où les Normands étaient, depuis longtemps déjà, apparus dans le Cotentin. Toustain de Billy, historien, après avoir cité Claude Fouchet, selon lequel "le Cotentin, du temps même de nos rois mérovingiens, estoit habité par les Sesnes, pirates ; et semble avoir esté abandonné par les Charliens, comme variable et trop esloigné de la correction de nos rois, aux Normands et autres escumeurs de mer, pour estre cette terre comme une presqu'île, séparée de la terre ferme". Il ne serait donc pas impossible que notre Thierry ait pris femme parmi les nouveaux arrivants alors que Sigebert, son frère, épousait une wisigothe du Razès nommée Magdala.
Quoiqu'il en soit notre homme, devenu moine par force, édifia tellement la communauté que celle-ci lui décerna le titre de "vénérable". Or, ce titre de "vénérable" est réservé de nos jours aux responsables des loges maçonniques, c'est-à-dire aux initiés comme l'était Thierry, dernier roi-perdu de la dynastie mystérieuse des mérovingiens, la "race fabuleuse" selon Gérard de Sède, l'auteur d'un livre paru en 1973 aux Editions "J'ai lu".
Nous perdons la trace de Thierry et de sa descendance jusqu'au XIIIe siècle où la famille Dagobert réapparaît à quelques kilomètres de Périers, près de Saint Lô, entre Mesnil-Enry, Mesnil-Durand et La Chapelle-Enjuger.
Par contre, nous trouvons deux évêques d'Agde, le port de Septimanie où s'embarquèrent les pèlerins pour Jérusalem, deux évêques au nom de Dagobert :
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au IXe siècle : 848 - 880 pour le premier
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au Xe siècle : 938 - 948, pour le second.
Dans le Tome VI de "Gallia Christi", on peut lire que le premier évêque Dagobert fut d'abord abbé de Saint-Sever, monastère fondé par Sever évêque d'Avranches, à 12 kilomètres de Vire dans le Calvados. Sever était originaire du Cotentin, né au VIIe siècle, il mourut à Rouen dont il est un des patrons et sa fête est le 1er février.
Ainsi, de la Normandie au rivage de la Méditerranée, porte de l'ORIENT, la tradition judéo-chrétienne s'installait avec des personnages portant le nom du plus célèbre des rois mérovingiens, le seul qui fut comparé à Salomon : DAGOBERT. Et, c'est bien ainsi que Charles le Chauve l'avait compris puisque dès le début de son règne, en 848, il nomme l'abbé de Saint-Sever, Dagobert donc, évêque d'Agde. Le 11 août de la même année, il accordait au dit évêque le tiers des droits domaniaux du comté d'Agde comme pour racheter les crimes de ses ancêtres à l'égard des Mérovingiens.
Mais ce n'est pas tout ! Nous avons vu que le gouverneur de Stenay s'était rendu le 17 janvier 872 au palais de Charles le Chauve, à Douzy, pour lui faire part de la découverte du tombeau de Dagobert II, le roi-martyr assassiné sur l'ordre de Pépin d'Héristal. Un concile fut donc réuni auquel assistait aussi l'évêque d'Agde, Dagobert, ce qui démontre en l'occurrence que ce dernier était bien considéré comme un descendant du roi Dagobert 1er, grand-père du roi-martyr que l'on allait canoniser …
Enfin, nous avons vu aussi que Charles le Chauve signa l'année même de sa mort l'hérédité du comte Wilfrid, descendant de Sigebert, frère de Thierry le moine de Fontenelle, ancêtre de notre évêque d'Agde. De la Normandie au Languedoc, le souvenir du roi Dagobert allait donc se perpétuer jusqu'à nos jours, grâce aux abbés de Saint-Wandrille dont nous allons reparler avant de continuer l'histoire de la famille Dagobert.
Ce fut à l'époque mérovingienne, dix ans après la mort du roi Dagobert Ier, que fut fondée l'abbaye de Fontenelle, par Wandrille né vers 600 aux environs de Verdun, dans une famille noble d'Austrasie que l'on dit apparentée aux Pépin, ancêtres de Charlemagne.
Wandrille, "beau garçon de taille moyenne, à la longue chevelure, aux yeux charmeurs et au teint pâle" se trouvait à l'école palatine en 623 lorsque Dagobert succéda à son père Clotaire II. Le nouveau souverain le choisit bientôt comme référendaire, autrement dit administrateur de ses domaines ou "villicus". Vers 630, les parents de Wandrille résolurent de le marier et lui firent prendre comme épouse une jeune fille dont la beauté et les qualités étaient dignes des siennes. Mais, il songeait déjà à la vie monastique et voulait garder le célibat. Sa jeune femme était aussi dans les mêmes dispositions d'esprit et s'étant révélé mutuellement leur désir de se consacrer à Dieu, il se coupa lui-même les cheveux et fit prendre le voile à sa femme. Après quoi, et sans prévenir personne, il s'en alla prendre l'habit au monastère de Montfaucon au nord de Verdun, son pays natal.
Cette tentative était destinée à tourner court et Wandrille ne pouvait l'ignorer : le pouvoir civil réagissait contre la trop grande facilité avec laquelle les abbés donnaient l'habit monastique à des fonctionnaires royaux et cela avait abouti à des règlements figurant dans les actes juridiques de l'époque. L'autorisation royale était nécessaire aux hommes libres, les Francs, donc et à plus forte raison aux fonctionnaires pour entrer en religion.
Le roi Dagobert, courroucé par cette infraction à la loi adressa donc à Wandrille l'ordre de paraître à la Cour pour examiner cette prétendue vocation.
Après son entrevue avec le roi, et lui ayant présenté des arguments suffisamment sérieux, Wandrille fut autorisé à suivre sa vocation et fut déchargé de ses fonctions officielles en étant déclaré libre d'aller où l'appelait Dieu.
Il s'en fut donc d'abord fonder un monastère sur un terrain lui appartenant à Sainte-Ursanne sur les pentes nord du Jura bernois. Puis, il s'en fut au monastère de Bobbio dans l'Italie du Nord soumis à la règle en vigueur, celle de Saint-Colomban, moine irlandais, ce qui l'incita bientôt à chercher à leur source ces institutions monastiques en se rendant en Irlande.
Au cours d'un séjour à Romainmoutier sur le chemin vers la lointaine Irlande, il retrouva son neveu Gond qui vainquit ses dernières hésitations en lui suggérant de retrouver son ancien collègue de l'école palatine, Ouen, devenu métropolitain de Rouen en 641. L'oncle et le neveu furent aussitôt reçus avec joie par Ouen qui voyait en eux des évangélisateurs pour le pays dont il avait la charge en Neustrie sous le règne de Clovis II ou plutôt de la reine Nanthilde et d'Erchinoald, Clovis n'ayant que sept ans à cette époque. Le métropolitain fit donc de Wandrille d'abord un sous-diacre puis un diacre, enfin, il lui fit donner le sacerdoce par Omer devenu évêque de Thérouanne.
Pendant quelques années, Wandrille eut loisir de parcourir le pays en tout sens pour évangéliser les populations et mettre en œuvre ses qualités de convertisseur. Puis, lorsqu'il jugea avoir rendu à son évêque ce que celui-ci avait attendu de lui en lui conférant les ordres, il songea de nouveau à fonder un monastère pour se retirer du monde.
Ce fut encore Ouen qui intervint auprès du maire du palais de Clovis II pour lui demander de céder à Wandrille et à son neveu, l'option d'un domaine royal sur la Basse-Seine dans la forêt de Jumièges. L'origine de propriété en était assez embrouillée : l'administration royale paraissant avoir cherché à faire défricher cette forêt qui lui appartenait pour peupler le pays. A cette fin, l'administration mérovingienne avait permis à un nommé Bothmar, originaire du Vexin, de restaurer un ancien domaine gallo-romain situé sur un ruisseau nommé Fontenelle. Ceci fait, le domaine fut concédé par Dagobert Ier, le 4 mars 638, puis confirmé par son successeur Clovis II, le 4 février 639. Bothmar mourut peu après laissant le domaine à un tout jeune enfant incapable de poursuivre seul les travaux de défrichement dont les tuteurs se désintéressèrent au profit du maire du palais qui venait fréquemment dans la résidence royale d'Arlaune située en face de Fontenelle. Erchinoald consenti à l'acquérir par échange contre d'autres biens situés en Véxin au pays natal de Bothmar et de son fils. Mais le maire du palais se désintéressa bientôt de son acquisition qui se trouvait de nouveau envahi par une végétation luxuriante et de surcroît usurpé par des voisins lorsque les moines arrivèrent. Ce domaine abandonné fut donc cédé à Wandrille pour un prix fort modéré et Gond se chargea des négociations. L'acte de vente des droits d'Erchinoald, plutôt que du fonds lui-même qui était bien royal, fut passé à Compiègne le 1er mars 649. Après un délai d'une année, qui était sans doute une période d'épreuve, Clovis II ratifia la vente et transféra aux deux religieux les droits de leurs prédécesseurs. Le domaine fît encore l'objet d'une confirmation particulière accordée par Clotaire III fils et successeur de Clovis II, à Palaiseau en 663 ou 664.
Le site était bien choisi et venait compléter l'implantation ésotérique des monastères mérovingiens en bénéficiant des connaissances telluriques et astrales des emplacements sacrés de la Gaule.
Avant sa mort, le 22 juillet 668, après dix neuf ans d'abbatiat et épuisé par son apostolat, Wandrille eut la joie d'assister à la dédicace d'une autre abbaye du pays de Caux parmi celles qui composaient la projection de la Grande Ourse. En effet, c'est dans la seconde moitié du VIIe siècle, en 658 ou 662, sur l'emplacement où un missionnaire romain, Bozon, envoyé au pays des Calètes (Pays de Caux) pour prêcher le Christianisme, avait élevé une chapelle, que fut fondée pour des religieuses, l'abbaye de Fécamp par le comte Waninge, gouverneur du pays, conseiller intime de Bathilde, veuve du roi Clovis II et mère de Clotaire III, dont les libéralités avaient déjà aidé Wandrille à construire l'abbaye de Fontenelle. A l'érection de ce monastère se rattache la croyance des fidèles en la possession de l'insigne relique du Précieux Sang de Jésus-Christ, croyance qui fit pendant tout le haut moyen-âge la fortune de Fécamp et fut à l'origine de la légende du Saint Graal. C'est donc en 665 que Saint Ouen, archevêque de Rouen, fit la dédicace de la nouvelle abbaye en présence de Clotaire III qu'accompagnait Ebroïn, son maire du palais, son autrustion, et de l'abbé de Fontenelle, Saint Wandrille.
Lorsqu'il fut sur le point de mourir, les moines vinrent demander à Saint Wandrille de leur désigner un successeur selon les usages monastiques irlandais ; celui-ci répondit : "Il y a ici deux d'entre vous qui, après mon départ, me succéderont."
C'étaient Lantbert et Ansbert et cette désignation par un abbé mourant de tous jeunes successeurs se retrouvait parfois dans la vie des saints celtes. Aussitôt, les funérailles terminées, les religieux, après trois jours de prières, passèrent à l'élection et, par acclamation Lantbert se trouva choisi. Certaines contingences politiques avaient, sans doute, quelque peu aiguillé les votes. En effet, Lantbert était né en Ternois d'un noble franc appelé Erlebert et cette région faisait partie du duché de Dentelin enlevé par la Neustrie à l'Austrasie et où les sympathies pour cette dernière étaient fortes. Ansbert, que le fondateur Saint Wandrille mettait sur le même pied, était quant à lui Neustrien. Ainsi, les influences se trouvaient-elles également réparties et suivant les principes de Wandrille qui était austrasien, il épousait complètement les méthodes pacificatrices de Saint Ouen au sujet des querelles Austrasie - Neustrie et aristocratie - royauté mérovingienne sans cesse renaissante depuis l'édit de 614 par Clotaire II. D'ailleurs, les rois Clotaire III, Childéric II d'Austrasie et Thierry III son successeur lui donnaient dans leurs diplômes la qualité fort rare de "Notre Père". A la mort de Childéric II, Ebroïn mit à sa place Thierry III vite attaqué par les austrasiens favorables à Pépin d'Héristal qui convoitait le pouvoir. Lantbert, bien qu'il fut lui aussi favorable aux austrasiens, se garda bien de se mêler du conflit car la légitimité de Thierry était incontestable. D'ailleurs, Ansbert, alors prieur, avait quelques années plus tôt prédit à Thierry, le troisième fils de Clovis II, et de Sainte Bathilde, qu'il règnerait sous peu. L'anecdote mérite d'être rapportée telle qu'on peut la lire dans le bulletin n°7 de l'abbaye de Saint Wandrille paru à Noël 1957 :
"Un jour qu'Ansbert travaillait à la vigne dont on voulait couvrir les flancs du coteau, il entendit tout à coup des cris joyeux et des aboiements de chiens. Il reconnut bientôt le prince Thierry qui chassait dans ces parages. Thierry vint s'incliner devant l'homme de Dieu pour recevoir sa bénédiction. Ansbert la lui accorda, lui donna de bons conseils sur la grande affaire de son salut et lui prédit qu'il monterait sur le trône : chose qui paraissait bien impossible, vu qu'il n'était que le troisième fils du roi Clovis II, et qui arriva pourtant. Thierry avait répliqué en souriant : "Alors vous serez sûrement évêque", ce qui arriva aussi".
Lantbert était donc, par sa prudente politique, dans la bonne voie : il sut se réserver, chose toujours utile en temps de guerre civile grande consommatrice d'influences. Aussi, dans l'été 673, Childéric II fit-il le cadeau princier de plusieurs domaines à l'abbaye ainsi qu'une portion considérable de la forêt de Jumièges l'année suivante ce qui provoqua un conflit entre les deux abbés, Lantbert et Philibert.
Childéric II fut, nous l'avons vu, assassiné en octobre 675 avec sa femme Blitilde et son fils Dagobert et c'est ainsi que la prédiction d'Ansbert à Thierry se réalisa.
Comme son frère Childéric II, Thierry III accabla de faveurs l'abbé de Fontenelle. A cette époque, les monastères du Nord de la Gaule avaient de gros besoins en huile pour l'éclairage et la cuisine. Un important domaine planté d'oliviers fut sollicité par Lantbert et accordé par le nouveau roi : il était situé à Donzère, près de Pierrelatte sur la rive gauche du Rhône. Les voyages nécessaires par cette fondation mirent Saint Lantbert en contact avec la région lyonnaise et lui valurent d'être appelé au siège de Saint Pothin au début de 680.
Ansbert, ainsi que l'avait prédit Saint Wandrille, lui succéda tout naturellement pendant quatre ans. En 684, Saint Ouen revenait de Cologne porteur des offres de paix de Pépin d'Héristal suite à la défaite des Austrasiens à Latofao (Bois-du-Fays près de Laon). Le succès et les efforts qu'il avait prodigués avaient épuisé les forces de l'octogénaire. Il mourut à Clichy, le 24 août et son corps fut enseveli à Rouen dans l'église qui devait plus tard porter son nom. Ansbert apprit aussitôt le décès de son vieil ami.
Accompagné de quelques religieux, il vint assister aux funérailles mais, à peine rentré à Fontenelle, il fut atteint par un ordre royal lui enjoignant de se présenter au plaid solennel à Clichy. Comme il avait eu vent des démarches faites par les Rouennais qui désiraient l'avoir comme évêque, il supplia le roi Thierry de ne pas donner suite à ce projet et de le dispenser de paraître à la cour. Thierry se borna à lui réitérer son ordre en lui promettant de ne rien faire sans son consentement. Arrivé à Clichy, Ansbert fut assailli par les délégués rouennais qui le supplièrent de céder à leur désir de le désigner comme successeur de Saint Ouen à l'archevêché de Rouen. Ses compatriotes profitèrent du plaid royal pour lui faire donner la consécration épiscopale et l'empêcha ainsi de se reprendre. Triomphants, ils s'en revinrent à Rouen en compagnie du nouveau prélat.
Cette générosité apostolique, et même seigneuriale, lui valut une popularité énorme et l'on s'écrasait dans la cathédrale ; Thierry pouvait être satisfait d'avoir facilité la nomination du moine qui lui avait prédit son accession au trône malgré les difficultés qu'il rencontrait avec Pépin d'Héristal poursuivant sa politique de déstabilisation de la dynastie mérovingienne. En 679, il avait fait assassiner Dagobert II …
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