Sous la direction d’Alphonse Maindo, Richard Banégas, Guillaume Girard



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Conclusion


Aujourd’hui, près de dix à quinze mille Togolais vivent en France, sans compter la probable présence de migrants clandestins. Parmi eux on trouve une proportion importante d’étudiants venus poursuivre ou terminer leurs études, des réfugiés politiques qui ont décidé de fuir les répressions du régime togolais, des visiteurs ou « aventuriers » qui se sont rendus en France pour chercher une réussite ou un épanouissement qu’ils ne trouvaient pas au Togo mais aussi des familles venues rejoindre les premiers migrants. Bien que les profils migratoires soient relativement diversifiés et hétérogènes, l’immigration togolaise en France ne saurait être comparée aux migrations maliennes ou sénégalaises largement composées de jeunes hommes venus travailler en France et qui ont formé ce que certains ont pu appeler un « prolétariat noir » en France400. Au contraire, il s’agit plutôt, bien que cela ne puisse être généralisé à tous les immigrés togolais, de migrants relativement qualifiés qui finissent par s’installer en France et qui cherchent à s’y intégrer. Le simple constat de cette sédentarisation a poussé certains à parler de la formation d’une communauté togolaise en France. Toutefois, cette supposée réalité doit être questionnée. Ainsi, les émigrés-immigrés togolais sont pris dans des enjeux identitaires contradictoires, dans une culture de « l’entre-deux » qui permet de lier à la fois le désir individuel d’intégration en France et l’ancrage dans une culture d’origine souvent idéalisée et qui se trouve très loin des enjeux simplistes d’assimilation ou de retour définitif. Si certains éléments d’objectivation d’une identité togolaise en France permettent de lier des migrants autour d’évènements culturels et de manière plus abstraite de voir naître une conscience communautaire « imaginée », il reste difficile d’affirmer qu’une communauté culturelle ou ethnique togolaise existe bel et bien en France. L’idée d’un groupe formel constitué de Togolais peut donc plutôt être recherchée du côté des associations diasporiques qui tentent de fédérer autour d’elles des migrants afin d’œuvrer dans une démarche citoyenne pour un changement social, économique et politique au Togo.

On se retrouve alors dans une situation assez paradoxale. En effet, une poignée d’entrepreneurs a créé, grâce à ses ressources matérielles, sociales et symboliques, des associations diasporiques qui agissent en France en partenariat avec plusieurs pays d’Europe (au premier rang desquels on trouve la Belgique, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie). Mais, ces associations sont jusqu’à ce jour de petites structures et il parait au premier abord surprenant que l’existence d’un sentiment communautaire togolais puisse en dépendre. Toutefois, le rôle de ces associations, qui a été étudié ici, n’est en rien négligeable. D’abord, les responsables diasporiques se font entrepreneurs culturels en participant activement à la mobilisation d’éléments d’objectivation de l’identité togolaise, ou à l’objectivation même de ces éléments. Ensuite, c’est par le travail rhétorique que ces entrepreneurs parviennent à rendre possible l’émergence communautaire. En monopolisant le discours médiatique et la parole togolaise en France et en donnant une certaine image d’une diaspora active, légitime à agir pour le Togo et pleine de ressources, les entrepreneurs participent à la création non pas d’une communauté culturelle mais d’une communauté citoyenne togolaise, et ce malgré le fait qu’ils ne jouissent pas, ou très peu, de droits civiques au Togo et que le dialogue soit partiellement rompu avec le régime Eyadéma ou Gnassingbé. Le recours aux labels de « diaspora » et d’organisations « de la société civile » permet en outre de dépolitiser les enjeux d’action et de gagner des soutiens plus larges. Toutefois, il reste clair que ces associations sont très ancrées dans un milieu politique et partisan et qu’elles œuvrent pour l’avènement de la démocratie au Togo. Les associations diasporiques engagent donc un réel travail de production politique d’un groupe citoyen de Togolais en France. Malgré les larges débats qui parcourent ces associations, notamment quant aux stratégies à adopter et aux suspicions sur les positionnements politiques de chacun, on peut observer qu’il existe une certaine homogénéité au sein des associations diasporiques. Cette convergence serait tout autant due aux profils sociaux semblables des entrepreneurs qu’à cet accord sur le travail rhétorique et politique à mener.

Mais il semble difficile de dire que dans un mouvement unilatéral, les associations diasporiques forgent de toute pièce une communauté citoyenne togolaise en France. En effet, le fonctionnement de ces associations doit lui aussi beaucoup aux tensions qui parcourent les migrants togolais, à titre individuel ou collectif. Ainsi, bien qu’elles travaillent avant tout pour le Togo, les associations diasporiques envisagent également d’être des facilitateurs d’intégration pour les Togolais en France. Les associations diasporiques sont donc prises dans cet « entre-deux » migratoire qui les pousse à agir ici pour changer les choses là-bas : « L'objectif clairement c'est ça, faire bouger les choses en Europe pour que ça bouge au Togo. »401. Ainsi, les entrepreneurs doivent aussi prendre en compte le contexte français et européen pour mettre en place leurs actions. Devant la difficile mobilisation populaire en France, hors des périodes marquées par des tensions politiques fortes au Togo, les entrepreneurs choisissent des voies plus centrées autour des structures diasporiques en engageant un processus de médiatisation de la question togolaise et de lobbying auprès des autorités françaises, européennes et togolaises. Ces actions, à la portée parfois limitée, ne sont toutefois pas pleinement susceptibles de fédérer au mieux et d’obtenir le soutien massif de Togolais en France.

Les tensions migratoires se retrouvent donc dans les actions de ces associations diasporiques qui, paradoxalement, utilisent l’identité togolaise pour parvenir à faire émerger une communauté citoyenne intégrée en France et utilisent leur familiarisation aux valeurs occidentales pour transformer les réalités sociales au Togo.




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