Quel est l'état actuel de l'aide au développement dans le monde ?
Bill Gates : L'aide au développement marche plutôt bien. Quelle que soit l'ampleur de la période considérée, l'aide au développement a joué un rôle central. Même les pays les plus pauvres sont dans une meilleure situation que par le passé. L'un des indicateurs les plus pertinents est la mortalité chez les enfants de moins de cinq ans. Il y a cinquante ans, elle dépassait les 20 millions de morts annuels. Il y a dix ans, elle atteignait 12 millions et elle est descendue récemment à 7 millions de décès par an. Compte tenu de l'augmentation de la population, cela représente une spectaculaire diminution de deux tiers de ce taux de mortalité.
A quoi attribuez-vous ces progrès ?
Les vaccins sont probablement responsables pour moitié de cette réduction, avec l'amélioration générale des conditions de vie et de l'alimentation. La variole et la rougeole provoquaient 3 millions des 20 millions de décès annuels. La variole a disparu depuis 1979 et la rougeole, elle aussi, a beaucoup chuté, elle provoque autour de 400 000 morts par an.
L'amélioration a été particulièrement bonne ces dix dernières années avec la réponse à la crise due au sida, qui a joué un rôle central. Nous avons encore énormément à faire dans ce domaine, mais nous avons créé le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, et l'Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (GAVI).
L'aide au développement souffre-t-elle plutôt d'un manque de ressources ou de problèmes dans l'utilisation de l'argent ?
On pourrait poser la même question pour les gouvernements des pays riches... D'une manière générale, les gouvernements ne sont pas parfaitement efficaces et l'aide au développement non plus.
Il y a quelques triomphes, comme les deux nouveaux vaccins, l'un contre le pneumocoque, responsable de pneumonies, et l'autre contre le rotavirus, qui provoque des diarrhées. Grâce à des engagements importants et l'obtention de prix spéciaux, GAVI peut les acheter et, dans les années qui viennent, nous les mettrons à la disposition de tous les pays. Ces vaccins sauvent plus de 300 000 vies supplémentaires par an.
Une fois que l'on a des indicateurs, on peut vraiment mesurer l'efficacité de nos actions: en affaires, on appelle ça le profit; dans le monde de l'aide au développement, c'est le nombre de morts d'enfant évitées.
Quel rôle voyez-vous la Chine et d'autres pays émergents jouer ?
Le montant de l'aide que la Chine donne à l'Afrique est relativement modeste. Les Chinois ont fait des choses inhabituelles : au moment où Pékin et Taïwan se livraient une compétition pour devenir membres des Nations unies, la Chine a construit des stades de football dans des pays d'Afrique pour s'attacher leurs votes à l'ONU. Les Etats-Unis pendant la guerre froide, la France avec ses anciennes colonies ont aussi instrumentalisé l'aide au développement. Il faut préciser l'objectif visé quand on donne de l'argent. Si c'est pour réduire le nombre de morts, alors il faut en mesurer l'impact cinq ans plus tard. Si c'est juste pour qu'on vous aime...
En novembre 2011, vous avez présenté au G20 le rapport "Mettre à profit l'impact de l'innovation pour financer le développement du XXIe siècle". Quelles sont les meilleures pistes ?
Ce qui rend assez unique le travail de notre fondation est ce que j'appelle la recherche et développement d'amont : créer un vaccin contre le paludisme, la tuberculose ou le sida... Il y a des progrès mais pas de percée significative pour l'instant. Malgré les bouleversements dans l'économie, l'investissement dans la recherche et développement s'est maintenu.
Parallèlement, nous nous battons pour le maintien des ressources du Fonds mondial. Les traitements contre le sida devant être pris à vie, l'inclusion de nouveaux malades fait grimper les coûts. Il faut saluer les pays comme la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou la Suède qui maintiennent, voire augmentent leur contribution au Fonds mondial ou leur aide au développement.
Que pensez-vous de l'initiative française de taxe sur les transactions financières ?
La plupart des systèmes fiscaux taxent le travail, car le travail ne se déplace pas aussi facilement que les profits. Certaines manières de prélever une taxe peuvent avoir des effets dissuasifs. J'ai toujours pensé qu'une taxe sur les transactions financières (TTF), à un taux raisonnable, permettrait de collecter des sommes significatives et servirait l'aide au développement. Ceux qui disaient que cela ne marcherait pas avaient tort.
La TTF que la France a mise en place depuis août est une manière parfaite de se servir d'une taxe. La France a montré le chemin et j'espère que d'autres pays s'y mettront, car plus le groupe de pays participants est grand et moins il sera possible d'esquiver la taxation. Je souhaite qu'une part suffisante soit allouée au maintien à son niveau de l'aide publique au développement de la France.
Où en est votre initiative Giving Pledge ("promesse de donation") ?
Pour l'instant, elle est limitée aux Etats-Unis où 92 milliardaires sont prêts à donner la majorité de leur fortune. Nous discutons d'une extension à d'autres régions du monde. En Chine, il n'existe qu'une première génération de riches. C'est très bien, car la première génération qui fait fortune a davantage tendance à la philanthropie que les générations qui en héritent. Le gouvernement chinois doit faciliter et encourager cela. En Inde également, il devrait y avoir des engagements. La famille Tata y a créé un fonds d'assistance aux pauvres dès 1908, avant Rockefeller et Carnegie. Il y aura encore plus de philanthropie et moins de gens pourront "pourrir" leurs enfants avec de l'argent.
Votre fondation veut favoriser l'accès à des toilettes dans les pays pauvres. Qu'est-ce qui vous a motivé ?
Les toilettes sont un bon exemple de biens dont les habitants des pays riches s'indigneraient d'être privés. Si vous êtes pauvres, vous êtes privé d'accès aux installations sanitaires, comme on le voyait dans le film Slumdog Millionaire. Dans les discours on se réfère généralement à la question de l'eau potable, mais sans accès à des sanitaires, les maladies diarrhéiques persisteront, aussi pure que soit l'eau qui arrive dans les tuyaux. Dans le modèle des pays développés, les eau usées sont retraitées à grand frais. On peut penser à d'autres approches.
Nous avons donc lancé un défi aux chercheurs de vingt universités : trouvez un moyen peu coûteux de se débarrasser de l'odeur et de ce facteur de transmission de maladies. Ils nous ont présenté des idées ingénieuses pour des toilettes collectives, ce qui est déjà mieux que rien, en trouvant des solutions pour supprimer les odeurs. Le véritable défi que nous devons relever est le problème de toilettes domestiques dans les foyers.
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