Former aux et par les situations professionnelles - Des situations aux compétences - Didier Michel- IGEN
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« Le moyen le plus efficace dans le développement des compétences n’est pas la reproduction de l’exercice, mais bien plutôt l’analyse de l’action », P. Pastré – initiateur de la didactique professionnelle (1991).
Cette rupture pédagogique doit nous permettre de revisiter nos pratiques, et de nous poser des questions.
La « compétence » est d’une complexité énorme, d’autant plus que ce concept s’est généralisé (on trouve la « compétence » dans le socle, de la cadre européen de certification des langues, …).
Pour autant, il semble que nous ne soyons pas rentrés dans une pratique « opérationnelle » de la compétence.
Subsistent des questions :
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comment former à la compétence les élèves ?
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que faire des savoirs, et notamment des savoirs scientifiques, pratiques … comment concilier les deux ?
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existe t-il une « bonne » formation (apprentissage, VAE, …) ?
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suis-je légitime pour former les élèves à un métier, par rapport à un professionnel ?
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quels dispositifs d’évaluation mettre en place dans cette approche par compétence ? (la grille de lecture est relativement normative dans l’analyse des activités professionnelles) ….
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Par ailleurs, un document, une activité attestent-ils une maîtrise de telle ou telle compétence (posant le problème de la « preuve ») ?
Le propos ne sera donc pas une approche « frontale » de la compétence, mais, pour reprendre la vision de Mayen, d’encercler la compétence et de délimiter un cadre de la compétence.
Ancrages théoriques : la didactique professionnelle
La didactique professionnelle étudie la construction et le développement des compétences professionnelles à partir de l’analyse de l’activité des individus en situation de travail, en vue d’élaborer des dispositifs de formation et d’évaluation.
Il s’agit alors de :
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relier les compétences à des activités professionnelles,
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analyser l’activité (l’activité réelle) et le comportement de l’élève en situation professionnelle.
La didactique professionnelle s’appuie sur des ressources scientifiques et pédagogiques :
Exemples : l’analyse de l’activité (Y. Clot), l’ergonomie (J. Leplat), la didactique et psychopédagogie (G. Vergnaud), et notamment la psychologie du développement (Lev Vygotsky).
Pour résumer, si Piaget parle d’un développement autistique (on se développe soi même à partir de soi, puis avec les autres), Vigotsky propose une autre approche, celle consistant à dire que chaque individu se développe en se confrontant à l’extérieur, à l’autre. Vigotsky évoque les notions de : verbalisation, généralisation (inscrite même dans le développement de chacun), conceptualisation (l’apprentissage nait de la rencontre entre des concepts quotidiens –pragmatiques et des concepts généralistes).
L’essence de la compétence naît du couple situation / activité … la question de la situation :
L’individu apprend d’abord en situation (on parle de cognition située). La situation est pour autant une étape intermédiaire comprenant à la fois un donné (le référentiel fournit des situations modèles) mais aussi un créé (la manière dont l’individu s’empare de la situation, transforme la situation), avec des composantes matérielles, sociales, relationnelles, symboliques et culturelles. Les situations de travail sont des formes de vie, dont le but ne suffit pas mais qui doit prendre sens pour chaque individu (ce doit être des situations finalisées et significatives).
Ces situations sont :
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plus ou moins complexes,
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diverses (à situation égale, il existe des différences tenant compte par exemple du contexte),
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variables (une situation identique ne se reproduit pas strictement de la même façon : il faut tenir compte de l’inattendu, de facteurs externes, …),
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extensives (c’est-à-dire la capacité d’un individu à réaliser une tâche simple, en intégrant des données de formation).
On peut aussi parler de classes de situations, qui comprennent les mêmes invariants (comportant un noyau commun) : il faut repérer ces invariants, tâche fondamentale en formation.
La compétence s’exprime ici par la capacité à traiter de la variabilité des situations
L’essence de la compétence naît du couple situation / activité … la question de l’activité :
Le premier signe de l’activité est la mise en œuvre d’un prescrit, qui s’accompagne souvent d’une sorte de transgression du prescrit, résultant d’un processus d’action interne (l’individu procède à une redéfinition de la tâche pour lui même, c’est-à-dire une « orientation » tenant compte de quelques bases acquises , c’est- à-dire toutes les situations précédentes acquises, les discours de personnes expertes, les connaissances acquises….
Il devient par conséquent essentiel d’équiper l’élève de toute cette base d’orientation, sorte de « sac à dos » qui viendrait en appui des choix à prendre par l’individu en situation …
Il faut aussi analyser l’activité réelle (observable) mais aussi le réel de l’activité, c’est-à-dire traiter le visible, mais aussi les choix inconscients, les activités en creux, les renoncements …
La compétence s’exprime donc aussi par la capacité à mobiliser une base d’orientation pour traiter de toutes les situations.
L’expérience professionnelle se construit ainsi avec le temps, par la diversité et la densité des situations rencontrées, la réflexivité (c’est-à-dire la capacité de faire une analyse réflexive sur les situations passées) qui est utile pour se projeter dans les situations futures et capitaliser un certain nombre de ressources utiles pour nourrir cette fameuse « balise d’orientation ».
Le processus d’acquisition des compétences :
Donner du sens à la formation, c’est se fixer comme objectifs de :
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travailler la variabilité des situations d’apprentissage,
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faire conceptualiser les élèves,
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enrichir systématiquement la base d’orientation.
Les modalités de formation doivent permettre de :
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multiplier les situations,
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développer des espaces de verbalisation,
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multiplier les situations d’analyse réflexive ….
Des questions demeurent :
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quel rapport au référentiel ?
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PFMP et activité tutorale ? comment réinvestir les situations professionnelles ? quelles « traces » de l’activité ?
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l’accès aux situations de travail par les équipes ? ….
Le sens de l’évaluation :
Dans le cadre de l’évaluation, il faut évaluer les compétences, non de manière frontale, mais par leur environnement direct (par exemple les conditions de mise en œuvre des compétences, les choix opérés, …).
Dans ce processus, quelques écueils sont à éviter :
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la notion de preuve à apporter par les élèves (sur les objets présentés, et le risque de se focaliser uniquement sur les objets présentés …)
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le suivi de ses propres représentations (et le risque de s’en tenir à une approche purement normative de l’attendu …),
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la focalisation sur les résultats, sur la production (« parfaite » ?),
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la primauté au vécu professionnel, aux périodes réelles vécues en entreprise au détriment de toutes les autres (et notamment celles mises en œuvre en établissement).
Il faut comprendre que les compétences propres à une classe de situations sont acquises lorsque le sujet est capable de généraliser et de transférer à d’autres types de situations qui pourraient lui être proposés. Somme toute, les compétences peuvent être acquises dès que l’élève est en capacité de le transférer à d’autres contextes (ce qui légitime l’idée selon laquelle il faut « variabiliser » en formation les situations professionnelles d’apprentissage).
Par ailleurs, l’individu en formation doit être également en mesure de démontrer sa capacité à « conceptualiser son action » : le « récit » par l’individu démarre par la restitution de faits, d’observation, … le récit devient « structuré », une fois que l’individu réussit à « conceptualiser » ses faits et gestes en situation professionnelle.
Pour pouvoir évaluer non la compétence en elle-même, mais plutôt les conditions de sa mobilisation, il faut sans doute dépasser la nature même du résultat atteint pour tendre vers :
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l’appréciation de la situation de travail (sa complexité, sa criticité, ….)
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le repérage du degré de conceptualisation : par l’explicitation de la situation, par la description de la situation (par exemple : capacité de l’individu à quitter le discours descriptif ?),
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la généralisation : par exemple capacité de l’individu à s’extraire de la situation singulière, par un changement de paramètres ….
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la prise en compte du fait que les critères d’évaluation sont des indicateurs d’apparition de la compétence.
Quand on évoque la compétence, on évoque généralement les questions d’autonomie et de prise d’initiative : or, contrairement à certaines représentations (qui voudraient dire que l’autonomie et la prise d’initiative sont du registre de l’inné), il faut poser que l’autonomie et la prise d’initiatives se construisent, se développent, notamment à partir des acquis des élèves, et de la quantité d’éléments collationnés dans « son sac à dos » …
Ce qui reste encore aujourd’hui difficilement évaluable, c’est l’évolution de la compétence : il faut pourtant inscrire l’individu en formation dans un potentiel d’évolution des compétences (le processus de professionnalisation en cours). De ce point de vue, il faut croire que l’analyse réflexive sur sa professionnalisation constitue un indicateur potentiel d’évolution de la professionnalisation de l’élève.
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Le portfolio de l’élève - Jacqueline Gaubert – IA-IPR Grenoble, à l’occasion du PNP Tertiaire administratif, 30 et 31 mars 2009
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Les principes fondateurs de la démarche du portfolio en éducation sont :
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se centrer sur l’apprenant,
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engager une démarche réflexive,
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contribuer à la professionnalisation de l’apprenant
Le porfolio interroge bien entendu les pratiques (quels changements dans les pratiques ?) mais aussi ses effets sur l’apprentissage (quelles plus values pour les élèves ?).
Le concept de portfolio : vers une définition
Le portfolio n’est pas un outil nouveau, puisqu’il apparait dès 1980 aux USA …dans un rapport au savoir basé sur la compétence.
Le portfolio est un assemblage finalisé des travaux de l’élève, qui démontrent ses efforts, ses progrès et ses acquisitions dans un ou plusieurs domaines (témoignage de sa réussite et de ses progrès). Il implique la participation de l’élève à la sélection des contenus (collection choisie et structurée), à la définition des critères de sélection et d’appréciation des travaux, ainsi que des manifestations d’auto-réflexion de l’élève (réflexivité de l’élève sur son apprentissage, suivi dynamique du cheminement de l’élève).
Il n’est pas un dossier documentaire dans lequel on place un tas de documents sans lien entre eux, encore moins un recueil de productions sans trace ni réflexion.
La démarche du portfolio se décompose en 3 phases :
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la collecte,
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la réflexion,
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la sélection.
Il existe plusieurs types de portfolio :
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le portfolio d’apprentissage : il apparait comme un document essentiel dans le contexte de la rénovation de la voie professionnelle. Il s’agit d’une collection de travaux de toutes sortes accompagnés de réflexion de l’élève sur ces travaux, des documents significatifs, des réflexions brutes.
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le portfolio de présentation : il présente les meilleures productions de l’élève ou celles qu’il préfère. Il fait état de ce qu’il est, de ses réussites, tant à l’école qu’à l’extérieur de l’école,
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le portfolio d’évaluation : il est un espace de dépôt dans le but d’obtenir une validation de compétence donnée, une certification, des preuves de la maîtrise de compétence(s).
Le portfolio d’apprentissage (dans le cadre privé, voire dans la classe) nourrit le portfolio de présentation (du domaine public), qui lui-même peut nourrir le portfolio d’évaluation. Le portfolio d’apprentissage constitue par conséquent un document fondateur.
Le portfolio peut se décliner sous forme papier ou numérique.
Le portfolio poursuit des intentions pédagogiques claires :
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un instrument réflexif : par la mise à distance par rapport aux pratiques, aux situations professionnelles vécues voire simplement observées,
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un mode de construction identitaire : il permet la construction progressive d’une identité professionnelle, la connaissance de ses points forts …
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une démarche coordonnée et collaborative,
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une démarche pédagogique de différenciation : l’élève sélectionne les activités professionnelles qu’il pense les plus réussies, ce qui veut dire que les situations d’apprentissage ne sont plus standardisées.
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Extrait du Café pédagogique, février 2009
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A la Une : Les nouveaux programmes du collège décryptés par Didier Delignières
Le concept de compétence est évidemment central dans ces programmes. On y retrouve d’ailleurs une définition à peu près tenable, en tant qu’« ensemble structuré d’éléments : des connaissances, des capacités et des attitudes permettant à l’élève de se montrer efficace dans un champ d’activité donné et de faire face de façon adaptée aux problèmes qu’il rencontre » (…) La compétence est généralement définie comme la capacité de maîtriser l’ensemble des situations pouvait survenir dans l’exercice d’une activité donnée (métier, pratique sportive, artistique etc.). La compétence est pensée comme intégration dynamique de multiples ressources, savoirs, savoir-faire, attitudes, et pensée avant tout comme une capacité d’adaptation à des environnement essentiellement mal définis, incertains et instables. Les situations dans lesquelles s’expriment et se révèlent les compétences, dans le cadre scolaire, sont de ce fait nécessairement complexes, mal définies, et font appel aux capacités stratégiques et décisionnelles de l’élève. Dans ce sens, elles se démarquent essentiellement des « tâches » clairement définies, canalisant l’élève vers une réponse prévisible (Delignières & Garsault, 2004).
(…) Cependant les définitions actuelles des compétences, notamment dans le cadre éducatif, renvoient à la maîtrise de situations complexes, mais cependant circonscrites à l’exercice d’une activité donnée. Ce n’est pas le cas des « compétences » du socle commun, qui semble posséder une transversalité beaucoup plus vaste. On peut ici renvoyer aux critiques émises par Rey (1996) sur ce concept de « compétence transversale ». L’auteur affirme notamment que « ce qu'on peut observer d'une compétence transversale, ce n'est jamais que son
usage dans telle tâche particulière relevant de telle discipline, son usage dans telle autre et ainsi de suite; ce qui est offert à mon regard ce n'est
jamais la compétence transversale, mais une série de compétences spécifiques. C'est moi qui, par abstraction, isole dans la complexité de chaque situation ce qui me paraît commun avec la complexité des autres » (Rey, 1996).
(…) Un second versant renvoie aux « compétences méthodologiques et sociales » : (1) agir dans le respect de soi, des autres, et de l’environnement, (2) organiser et assumer des rôles sociaux et des responsabilités, (3) se mettre en projet, et (4) se connaître, se préparer, se préserver. On retrouve ici des énoncés présents dans la plupart des textes précédents, souvent pensés comme la contribution des la discipline à l’apprentissage de la citoyenneté.
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